Maison de Victor Hugo à Guernesey

Correspondances – Adèle II 1ère partie

Correspondances – 1863

 

Adèle II 1ère partie :

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Le 18 juin, Adèle II quitta « avec violence et mystère « , dira Hugo, la maison paternelle. Elle perdra dans cette équipée à la poursuite de l’homme qu’elle aimait, un officier britannique nommé Pinson, ce qui lui restait de raison. C’est ainsi que Victor Hugo perdra sa deuxième fille.

« Cette chose incroyable de faire, qu’une jeune fille esclave au point de ne pas pouvoir sortir seule cinq minutes pour aller acheter du papier, marche sur la mer, aille sur la mer, passe de l’ancien monde au nouveau monde pour aller rejoindre son amant ; cette chose-là je le ferai. »

18 juin 1863.
Adèle II, qui feint d’aller retrouver sa mère à Paris, quitte Guernesey pour Londres et Halifax (Nouvelle-Ecosse), dans l’espoir de se faire épouser par le lieutenant Pinson.

18 juin 1863.
Note de V.H. : Ma fille est partie ce matin. Avec Mme Evans et ses enfants. Pour rejoindre sa mère à Paris.

Guernesey, 19 juin. Vendredi matin, 7 h. ½. [1863]
Juliette à V.H. :
Je pressens que tu as passé une mauvaise nuit, mon pauvre adoré, et je crains que tu ne souffres plus que tu ne veux le laisser voir (1). Je t’aime, mon sublime martyr résigné. Je n’ose pas toucher à ta douleur et pourtant je voudrais la faire cesser au prix que Dieu voudrait y mettre, quel qu’il soit. La pensée que tu souffres dans ta chère âme m’est odieuse et insupporta­ble. Mais que faire, que faire, mon Dieu, pour l’empêcher ?
Hier je te voyais luttant contre ta douloureuse préoccupation et un affreux mal de tête et j’en avais le cœur navré d’angoisse et de pitié. J’aurais voulu pouvoir t’absorber tout entier dans mon amour pour te forcer à ne rien voir, à ne rien sentir, à ne rien comprendre que lui.
Cette nuit je me suis relevée plusieurs fois, tâchant de deviner avec mon âme à travers ta fenêtre muette et sombre si tu dormais, et chaque fois je me recouchais plus tourmentée. Depuis ce matin je guette ton lever tout en désirant que tu restes au lit tout le temps dont tu as besoin pour le repos de ton corps et de ton esprit. Jusqu’à présent tu n’as pas encore paru. 0 mort pauvre bien-aimé, repose-toi, ne te laisse pas aller au chagrin, tout ira mieux que nous n’osons l’espérer, j’en ai le pressentiment par mon amour qui ne veut pas que tu sois malheureux. J’espère que tu recevras des nouvelles qui calmeront tes inquiétudes et t’expliqueront bien des choses d’une manière satisfaisante, autant que cela peut l’être, pour ton pauvre cœur froissé.
Quant à moi, mon adoré bien-aimé, heureux ou malheureux, je ne sais que t’aimer. Je ris quand tu ris, je souffre quand tu souffres, et toujours, toujours je t’aime. Je voudrais pouvoir faire plus, mais Dieu ne permet pas qu’on empiète sur sa puissance, ce qui fait que je ne peux que t’aimer.

19 juin 1863.
Carnet de V.H. : Ma fille écrit qu’elle est chez Miss Lester près de Hampton Court.

Dimanche [21 juin 1863].
lettre d’Adèle I à V.H. :
Elle vient d’apprendre, à Paris, le départ mystérieux d’Adèle qui, dans sa dernière lettre reçue jeudi, ne semblait préoccupée que par son album de musique.
Elle part tout de suite pour Guernesey.

Hauteville-House 23 juin [1863]
V.H. à Adèle I :
« Ce qui serait inadmissible, et tu le sentiras dans ta fierté pour ta fille et dans ton amour pour elle, ce serait qu’elle fit effort pour épouser cet homme malgré lui. Je crains qu’il n’y ait quelque impossibilité latente qui se révélera. Autrement comment expliquer la conduite inouïe d’Adèle, puisque tout était consenti et accepté de l’autre côté ? La résistance ne serait-elle pas de l’autre ? Alors comment Adèle peut-elle s’abaisser et insister jusqu’à courir après ? . »

23 juin 1863.
V.H. à Charles :
Il est étrange et triste de quitter avec violence et mystère une famille qui vous ouvre à deux battants la porte par laquelle vous voulez passer. C’est là de l’effraction inexplicable, et, hélas bien inutile… Je suis vieux, ma sortie n’est pas loin. Ma tendresse est sur vous tous, mes bien-aimés.

24 juin 1863.
Note de V.H. : Lettre d’A. annonçant son départ de Southampton pour Malte demain 25 juin.

30 juin 1863.
Note de V.H. : Nouvelles nouvelles lettre de Mme Milner Gibson. Ce n’est pas à malte – C’est à Halifax (Canada).

28 juillet 1863.
Note de V.H. : lettre d’A. datée de New York 14 juillet.

09 septembre 1863. autre date 17 sept. 63 ?
Lettre d’ Adèle II à sa mère d’Halifax, elle lui dit qu’elle a rejoint le lieutenant Pinson et que leur mariage a eu lieu.

Fin septembre1863.
Dans la « Gazette de Guernesey » :  » Le 17 septembre a été marié à Paris, M. Albert Pinson, du 16è régiment d’infanterie anglaise, avec Mlle Adèle Hugo, fille de M. le vicomte Victor Hugo, officier de la Légion d’honneur, ancien pair de France, ex-représentant du peuple sous la république, membre de l’Académie française et chevalier de l’Ordre de Charles III d’Espagne, domicilié à Saint-Pierre-Port, Guernesey. « 

07 octobre 1863.
François-Victor à Adèle I :
 » J’ai mis M. P. en demeure de m’envoyer l’acte de mariage. Ma lettre droite et polie réclame une réponse immédiate. Je ne vois pas pourquoi tu t’agites si fort. Adèle a pris sa destinée dans ses mains ; et nous devons accepter une résolution qu’elle nous impose à tous avec une telle souveraineté. Son manque de tendresse et d’égard pour nous tous me détache et m’empêche de m’apitoyer sur le bonheur qu’elle a été chercher à travers tant d’abîmes. « 

10 octobre 1863.
Victor Hugo à sa femme
 » Toute la conduite d’Adèle est une énigme. Nous consentons au mariage ; elle s’évade de la maison. Il ne tient qu’à elle de se marier avec dignité ; chez elle, devant son père, sa mère, ses frères, ses parents, ses amis. Elle fait de son mariage une escapade. Tout à coup, elle écrit qu’elle est mariée. Cela tient en trois lignes dans sa lettre. Les dix pages de surplus sont pour demander de l’argent. Mon nom n’est pas prononcé. Je ne suis là que sous-entendu, et comme caissier. Maintenant où, comment, devant qui, sous quelle loi s’est-elle mariée ? Silence absolu. Cela te fait douter du mariage, chère amie, toi mère si tendre et si bonne, et avec raison. Tu me recommandes, la certitude nous manquant, de n’en parler à personne. Là-dessus, coup de tonnerre. On m’aborde dans la rue et l’on me dit : votre fille est mariée. Pendant que nous nous taisons, Adèle parle. Elle crie ce mariage dont nous n’avons pas la preuve (…) Cela me donne l’air d’un père qui a refusé son consentement et je suis obligé de raconter qu’il n’en est rien et d’expliquer aux passants nos affaires de famille. Les journaux savent la chose avant moi. Je fais pourtant bonne contenance et je couvre la situation le plus et le mieux que je peux. Voilà ce que fait Adèle. Maintenant, voyons le mari. Adèle parle trop ; lui, pas du tout. Il se tait. Il fait le mort. Nul signe de vie. Il ne daigne pas écrire un mot au père et à la mère. Il advient à un mauvais petit soudard anglais le prodigieux honneur d’entrer dans la famille de Victor Hugo, et ce soudard quelconque n’a pas l’air de s’en douter. Il arrive chez nous par la porte basse, et la tête haute. Il est dans la maison, et il nous ignore. Il ne salue personne en entrant. Le premier souci de ce gendre semble être de se rendre impossible. Soit. Est-il, en effet, mon gendre ? J’en suis réduit à me faire cette question. Son silence dit non. « 

10 octobre 1863.
Hugo annonce à Hetzel le mariage de sa fille Adèle :
 » Vous savez par les journaux ce qui a retardé ma réponse. Ma fille devient anglaise. Exil, voilà de tes coups. Son mari est un brave de Crimée, jeune, anglais, officier, aristocrate, rigoriste, gentilhomme et gentleman. Nous serons une famille où le beau-père, vieux, représente l’avenir, et le gendre, jeune, le passé. Cette jeune figure du passé a plu à ma fille qui l’a choisi. Comme c’est le devoir du père en pareil cas, j’ai contresigné. Le couple est en route pour Halifax. Il y a, entre mon gendre et moi, la distance morale qui nous sépare de l’Angleterre et la distance matérielle qui nous sépare de l’Amérique. Mais le droit au bonheur existe. Ma fille en use, et je ne puis la blâmer.
Ceci explique comme quoi j’ai besoin d’argent comptant. Puisque vous avez conclu avec Houssiaux, à la condition que son monopole expirera en février 1865, je préfère le paiement comptant…
Je suis horriblement pressé. J’ai trouvé en arrivant une montagne de lettres à décacheter. Plaignez-moi. je n’ai qu’une minute, et me voici au bout de la minute et de mon papier. Je suis pourtant chargé d’une foule de choses charmantes pour Madame Hetzel. Les admirations de femme à femme sont rares et douces; je les lui envoie. Mettez-moi à ses pieds par-dessus le marché. « 
Tuus
V. H.

11 novembre 1863.
François-Victor reçoit une lettre d’Adèle II, elle lui avoue qu’elle n’a jamais été mariée, mais elles se déclare résolue à tout entreprendre pour obliger le lieutenant pinson à l’épouser.

11 novembre 1863.
François-Victor à sa mère :
 » Adèle nous a trompés, comme elle a trompé tout le monde. Le mariage n’est pas fait. Elle l’avoue dans une lettre confidentielle spécialement adressée à moi, où elle déclare, en outre, que le mariage publiquement annoncé est devenu absolument nécessaire et où elle me prie de me joindre à elle pour toucher le cœur de M. P. et pour tâcher d’obtenir de lui qu’il consente.
M. Lecrosnier neveu par alliance de P. m’a montré une lettre d’une cousine dudit P. adressée à Mme Lecrosnier et affirmant que la nouvelle du mariage est un canard, a hoax – Le démenti est donc évident du côté de la famille P.

01 décembre 1863.
V.H. à Adèle I :
 » Relevez-vous tous et toutes ! Cet homme est un misérable, le plus vil des drôles ! Il couronne un mensonge de dix ans par un congé hautain et glacé. C’est une âme noire et bête. Eh bien, félicitons Adèle. C’est un grand bonheur qu’elle n’ait point épousé cela. Pas d’abattement. Tout peut se réparer si Adèle vient. Qu’elle s’arrache à ce songe, à cet affreux rêve, à ce cauchemar qui est la folie et non l’amour. Agis sur elle, toi, chère amie, toi si grand cœur et si noble esprit. Qu’Adèle revienne vite ! Nous dirons que le mariage n’étant pas fait devant le consul de France, était nul en France et que, l’homme ne nous convenant pas, nous l’avons fait rompre. Victor et moi avons déjà un peu ébauché cela ici. Dans six mois, Adèle reviendra à Hauteville; elle s’appellera Mme Adèle. Voilà tout. Elle est d’âge à être damée et nous n’avons pas de comptes à rendre. Qu’elle traverse ce moment-ci, qu’elle s’arrache à ce mauvais gueux, qu’elle revienne, je me charge du reste. Elle oubliera, elle guérira. La pauvre enfant n’a pas encore été heureuse. Il est temps qu’elle le soit. je veux qu’elle le soit. je donnerai pour elle des fêtes à H.-H. J’y appellerai toutes les intelligences. Je dédierai à Adèle des livres. je ferai d’elle ma couronne de vieillesse. Je célébrerai son exil. Je réparerai tout. Si un imbécile a eu la puissance de déshonorer, V. H. aura la puissance de glorifier. Plus tard, guérie et souriante, nous la marierons à un honnête homme. Que ce soudard disparaisse de notre pensée. Efface-le, toi, de l’esprit et du cœur d’Adèle. Il est impossible, admirable mère, que tu n’aies pas ce pouvoir. «