Hauteville House est une série BD parue aux editions Delcourt (actuellement 10 volumes) et réalisée par Fred Duval (scénario), Thierry Gioux (dessin), Christophe Quet (story-board) et Carole Beau (couleur).
Cette série appartient au genre steampunk (terme inventé pour qualifier un genre de littérature né à la fin du XXème siécle, dont l’action se déroule dans l’atmosphère de la société industrielle du XIXème siécle. Le terme fait référence à l’utilisation massive des machines à vapeur au début de la révolution industrielle puis à l’époque victorienne. Aujourd’hui le steampunk est considéré comme un esthétisme pouvant intéresser à la fois des oeuvres littéraire fantastique, de fantasy, d’anticipation et certains sous-genres de la science-fiction).
En 1864, des agents républicains établis à Guernesey doivent contrecarrer les projets scientifiques de Napoléon III, car en marge de l’histoire officielle, celui-ci utilise son arméee et ses services secrets pour étudier des phénomènes qui relèvent des sciences occultes et des légendes populaires. Son but : obtenir la suprématie dans le monde. Les républicains installés dans les profondeur d’Hauteville House tentent de contrer les funestes projets impériaux.
Après une présentation des différents cycles et tomes, nous verrons plus en détail le tome 10 intitulé Jack Tupper dont l’action se déroule en huis clos à Hauteville House.
Crédit images : ©Editions Delcourt/Thierry Gioux/Fred Duval.
CYCLE I :
1- Zelda
Avril 1864. Le Clovis, un cuirassé du troisième empire mouillant à Rouen, est sur le point d’appareiller pour le Mexique. De nuit, Gabriel Valentin-La-Rochelle, espion infiltré à l’intérieur du bâtiment, s’empare de documents top-secrets. Plus communément appelé Gavroche, cet agent spécial de la république engagé dans la résistance contre le troisième empire, rejoint aussitôt sur Guernesey la base de Hauteville House. Cette demeure appartenant à l’écrivain Victor Hugo, abrite en fait un gigantesque quartier général souterrain oeuvrant pour la restauration de la république. Les documents rapportés du Clovis révèlent alors l’intérêt soudain de Napoléon III pour le Mexique. Souhaitant profiter du désintérêt des USA pour la guerre civile mexicaine , trop occupés par leur propre guerre de sécession, Napoléon III a en effet lancé de mystérieuses recherches dans un temple maya. Les forces occultes que souhaite réveiller l’empereur seraient alors susceptibles d’écraser la rébellion Juariste et d’étendre l’emprise de l’empire français au continent sud-américain.
2 – Destination Tulum
Mai 1864, dans le ciel mexicain. A partir d’un « bi-zeppelin », les forces spéciales de l’empereur Napoléon III lancent une offensive au sol. Leur objectif : intercepter l’agent républicain Gavroche recherché pour conspiration contre l’empereur. Ce dernier, toujours accompagné de son fidèle majordome Georges, fait route vers un temple maya, pour y faire déchiffrer un document top secret par un spécialiste. Poursuivis par l’armée napoléonienne, Gavroche et Georges ne doivent leur salut qu’à l’intervention musclée de Désiré, l’homme à qui ils allaient rendre visite. Après avoir provoqué un bain de sang, les trois hommes se réfugient derrière la lourde porte d’un temple en ruine. Enfin à l’abri, ils entreprennent d’analyser le mystérieux document qui se trouve être un extrait des mémoires d’un chroniqueur d’un certain Cortès. Ce dernier les renseigne sur une arme absolue dont tente de s’emparer l’empire français. Au même moment à Hauteville House, sur l’île de Guernesey, Eglantine est envoyée en mission par le général Duroc, de la résistance française. Elle doit infiltrer la famille du Général de la Touque, proche conseiller de Napoléon en poste au Mexique.
3 – Le steamer fantôme
Gavroche a enfin réussi à localiser et dérober le mystérieux manuscrit détenu jusqu’alors par les sbires de l’empereur Napoléon III. Celui-ci est un extrait inconnu des mémoires de Bernal Diaz Del Castillo, le chroniqueur de Cortès lors de l’expédition chez les Aztèques en 1519. Poursuivis frénétiquement par les forces spéciales de l’empire, Gavroche parvient tout de même à rejoindre tant bien que mal Désiré, un vieux spécialiste qui lui traduit le manuscrit. L’écrit révèle qu’un empereur Aztèque a donné à Cortés un bijou très particulier, qui avait été offert à son peuple par le Dieu Quetzal Coatl. Celui-ci permet d’ouvrir des portes secrètes du Palais de Tulum dont les entrailles renferment une arme redoutable. Gavroche arrive à mobiliser la résistance mexicaine afin d’empêcher Napoléon d’acquérir cette arme absolue. Après quelques actions sanglantes, Gavroche et les mexicains arrivent à Tulum pour y découvrir un carnage diabolique : la légion de l’empire a été anéantie dans un effroyable bain de sang. Le lieutenant Augustin agonisant, seul survivant de la boucherie, décrit les évènements : une bête ectoplasmique en mal de chair fraîche, est sorti de son hibernation ancestrale pour se servir sur le tas avant d’être emprisonnée dans un sarcophage spécial. Embarqué à bord du Clovis, un cuirassé du troisième empire, le sarcophage est maintenant en route pour la Floride.
4 – Atlanta
C’est à bord du wagon d’un train blindé, convoyeur d’armes et de marchandises, que Gavroche, Zelda et Georges finissent enchaînés. A peine nourris de pain rassis, au bon vouloir et aux crachats de la racaille confédérée qui dirige l’expédition, le voyage risque d’être pénible. Pour un peu de bonheur dans leur malheur, la destination du convoi est justement Atlanta, ville qu’ils doivent absolument atteindre avant les frères Mauguy. En effet, ceux-ci apportent aux Sudistes l’arme ultime qui risquerait bien de leur faire gagner la guerre : un monstre millénaire ectoplasmique contrôlable par la pensée. Pendant ce temps, l’agent Eglantine Lydon poursuit sa mission d’infiltration. Après avoir empoisonné l’interprète du conseiller de Napoléon III, de fait momentanément malade, elle troque ses services de garde d’enfants pour la remplacer. Elle est ainsi aux premières loges pour découvrir les tractations entre l’empereur français et les confédérés. C’est sans compter sur les pouvoirs extra-lucides de Madame Nostra, qui a déjà remarqué le comportement étrange de la jeune femme. Il va bientôt falloir trouver un moyen pour fuir rapidement.
CYCLE II :
5 – USS Kearsarge
Le « Fantôme » est le maître de la pègre de Paris. C’est avec lui que l’espion Gavroche doit maintenant pactiser pour le compte de la république pour arriver à ses fins. Après un brusque test d’entrée en matière, lors duquel le jeune intrépide doit sortir d’un coffre fermé à clé et jeté aux fonds des égouts de la capitale, et tout cela les mains liées, il gagne enfin le droit d’adresser sa requête à celui qui dirige la cour des miracles. Gavroche a besoin de lui pour organiser l’évasion de l’agent Eglantine, arrêtée alors qu’elle était en mission d’infiltration. Celle-ci est maintenant emprisonnée à la Conciergerie. Jugée dans quelques semaines, elle sera probablement exécutée. En guise de récompense, Victor Hugo est prêt à céder au Fantôme les précieux chandeliers du forçat Jean Valjean. Mais la loi de la pègre en décide autrement : une vie exige une vie. Les deux chandeliers ne feront que payer la sécurité de la pauvre Eglantine. La nouvelle mission de Gavroche sera donc de délivrer un des fidèles lieutenants du Fantôme, alors détenu au Bagne de la nouvelle Calédonie.
6 – Le diable de Tasmanie
En pleine jungle et de façon inespérée, Gavroche et ses acolytes sont tombés sur l’épave du ballon des frères Mauguy qui a été attaqué par une tribu Kanak. A son bord, ils découvrent des carnets de voyage de l’expédition disparue de La Pérouse, des documents extrêmement recherchés, ainsi qu’un des pauvres frères Mauguy appelant au secours en morse. Gavroche doit absolument trouver un poste de télégraphie pour communiquer avec sa hiérarchie. La troupe rejoint alors la côte pour découvrir une des mines de Nickel complètement ravagée. Cette dernière vient d’être attaquée par un pirate : le célèbre Diable de Tasmanie. Malheureusement, les corsaires ont aussi détruits tous les moyens de communication. En attendant, même en morse, le frère Mauguy a une intéressante histoire à raconter. Ils ont retrouvé la trace de la Croix de La Pérouse, un des objets les plus convoités des puissants de ce monde… Elle serait au large de Vanikoro, à 300 mètres de fond dans l’épave de La Boussole. Il semble, de plus, que Le Calonec, le prisonnier que Gavroche devait rapatrier en France pour le compte du Fantôme, à la suite d’une tractation pour faire délivrer l’agent Eglantine de la Conciergerie, ne semblait pas être à Nouméa par hasard.
7 – Expédition Vanikoro
Gavroche, Miss Pickford, Georges et l’un des frères Mauguy se sont réveillés avec un sacré mal de tête, un relent de Kava au fond de la gorge. Ils ne sont pas capables de savoir s’ils ont rêvés ou s’ils ont bien rencontré La Pérouse vivant, dans l’étrange cité de la Tina. Tout semble pourtant bien réel. Un bateau a été mis à leur disposition pour rejoindre l’îlot artificiel itinérant, USI John Q. Adams. De là, ils doivent embarquer sur l’USS Kearsarge pour tenter de traquer le sanguinaire Diable de Tasmanie, afin de l’empêcher de mettre la main sur la fameuse Croix de La Pérouse. En effet, l’heure tourne, le destin du monde semble compromis. N’ayant pas réussit à mettre la main sur Le Calonec, Victor Hugo a été obligé de négocier avec le Fantôme de Paris et de lui livrer les « 2 chandeliers » pour qu’il organise l’évasion d’Eglantine, encore emprisonnée à la Conciergerie. Si le Diable de Tasmanie livre la Croix de la Pérouse au Fantôme, ce dernier sera alors en possession de tous les éléments pour ouvrir la porte qui mène à la Pierre Philosophale de Nicolas Flamel. La fin justifiant les moyens, pour la première fois, les services secrets de Victor Hugo, de l’empereur et des Etats Unis font alliance pour tenter d’éviter ce drame.
8 – Fort Chavagnac
Kearsarge vs Alabama… Le duel se déroulera au large de Cherbourg. Une rencontre d’un tout autre type aura lieu dans cet épisode clé et sonnera comme un ultime avertissement pour la civilisation humaine.
Après avoir exploré les fonds marins de Nouvelle-Calédonie et repéré une présence inconnue dans les eaux de Vanikoro, les différents équipages naviguent vers Cherbourg. Le navire de guerre sudiste, L’Alabama, atteindra les côtes de la Manche dans quelques heures. À ses trousses : le sous-marin nordiste Le Kearsarge. Enfin, Le Charlemagne, bâtiment de l’empire français…
La bataille est imminente.
9 – Le tombeau de l’Abbé Frollo
Nous sommes en 1865. À Paris, dans le quartier Saint Lazare, deux silhouettes se promènent sur les toits. Les deux protagonistes qui s’introduisent au bonheur des dames sont l’agent Gavroche et le capitaine Dantès. Cette alliance entre la république et l’empire est plutôt hors norme. Mais l’enjeu est de taille : il s’agit en effet de récupérer les deux chandeliers et la carte qui permet d’ouvrir le premier niveau de la cathédrale Notre Dame. En effet, il ne manque maintenant que ces deux objets pour accéder à la pierre philosophale. Qui aurait pu deviner que le fantôme de Paris les cachait au milieu des bas de soie et des dessous chics ? C’est pourtant dans le grenier du grand magasin, qu’une étrange main mécanique gigantesque protège le coffre. À peine Gavroche s’approche-t-il de celui-ci, qu’une malencontreuse vibration déclenche un mécanisme. Il ne reste alors plus que deux ou trois minutes pour forcer la serrure.
CYCLE III :
10 – Jack Tupper
Fin de l’été 1865. Un dirigeable est amarré sur une des tours du port de l’île de Guernesey. Les militaires républicains n’ont eu aucune compassion. Gavroche, Hugo, Miss Zelda, Nadar, Georges, Eglantine, tous sont en quarantaine dans cette prison volante, de peur qu’ils n’aient contracté la peste lors de leur dernière mission, qui retentit encore comme un échec flagrant. Corned-beef et petits pois anglais tous les jours, tout ce petit monde va craquer ! C’est alors que se produit l’impensable : un avis de tempête de force 12 oblige les militaires à briser cette quarantaine deux jours avant la fin. Direction Hauteville House, où tout le monde va reprendre ses quartiers. Miss Zelda, en tant qu’espionne américaine, doit néanmoins rester à la surface : pas question qu’elle apprenne par cœur les plans de la base souterraine des républicains. Alors que le vent s’est déjà levé et que la pluie commence à prendre ses droits, un homme torpille est lancé depuis un bateau-forteresse qui a jeté l’ancre au large de Guernesey.
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Dans ce dernier tome, la véritable vedette est sans conteste la maison de Victor Hugo : Hauteville House.
Dans le scénario, la tempête monstrueuse qui s’abat sur Guernesey est un coup de génie, du coup tous les protagonistes habituels (les républicains) se retrouvent cloîtrés dans la maison avec Victor Hugo, sa femme Adèle et Nadar, pendant qu’un agent de l’Empire penêtre clandestinement dans Hauteville House pour s’emparer d’un document secret, le manuscrit du corsaire Jack Tupper qui avait fait construire la bâtisse au début du siècle. La fiction se mêle à la réalité historique et nous permet de découvrir cette étonnante demeure.
Il est intéressant de souligner le soin apporté aux faits historiques et la très grande justesse des dessins de chaque pièce de la maison.
LES FAITS :
Le 16 mai 1856, Victor Hugo acheta Hauteville House à monsieur William Ozanne « pour le prix et somme de 51 quartiers 4 denerels et 3 quints de froment de rente », soit 24.000 francs. Il paya comptant 13.920 francs.
« Le Seize Mai Mil-Huit Cent Conquante-six, devant Monsieur le Lieutenant-Baillif et Messieurs les Jurés de la Cour Royale de cette île de Guernesey… ont comparu personnellement Monsieur William Ozanne… et Dame Rosalie Torode, sa femme, lesquels, de leur libre et franche volonté, ont reconnu et confessé avoir fieffé et baillé à rente, d’eux et des hoirs du survivant des deux, en fin et perpétuité d’héritage, à Monsieur Victor-Marie Hugo, fils du Lieutenant-Général Comte Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, natif de Besançon, Département du Doubs, en France, et présentement demeurant en la dite Paroisse de Saint Pierre-Port, présent et acceptant pour lui et ses hoirs à jamais ; Savoir est une Maison, Edifices et Jardin, situés à Hauteville, en ladite Paroisse de Saint Pierre-Port, sur le Fief le Roi… » (Acte de vente ou Contrat signé de Justice portant le sceau du Bailage de l’île de Guernesey, enregistré pour la date du 16 mai 1856).
Ce fut l’éclatant succès remporté par Les Contemplations, qui parurent simultanément à Paris et à Bruxelles le 23 avril 1856 qui permirent à Victor Hugo d’acheter Hauteville House. « Voilà un succès foudroyant », ecrivait le 24 avril à Paul Meurice à Victor Hugo : « Hier matin, Pagnerre recevait les 1000 exemplaires qui lui revenaient, à 5 heures il n’en avait plus un seul. Michel Levy, qui a, lui, 1700 exemplaires et qui a plutôt affaire aux libraires en détail, peut encore avoir, à l’heure qu’il est, 4 ou 500 exemplaires, mais il ne lui en restera plus demain. Et les départements sont à peine servis. Des villes comme Lyon et Bordeaux en auront si peu reçu que le livre y pourra passer pour inédit. Lévy et Pagnerre vous proposent d’acheter la deuxième édition, tirée à 3000 exemplaires. Ils vous demandent en outre, dès à présent, d’acheter la troisième édition, à 3000 exemplaires d’abord, avec faculté de faire un second tirage à 3000 autres. »
Guernesey, contrairement à Jersey, autorisant les étrangers à acheter de la terre, Victor Hugo ayant acquis droit de cité et donc de citoyenneté, n’avait plus à redouter l’application de l’alien bill, loi anglaise qui autorise l’expulsion sans jugement des étrangers. Il écrit à Jules Janin le 16 août 1856 : « Figurez-vous qu’en ce moment je fais bâtir presque une maison ; n’ayant plus de patrie, je veux avoir le toit. L’Angleterre n’est pourtant guère meilleure gardienne de mon foyer que la France. Ce pauvre foyer, la France l’a brisé, la Belgique l’a brisé ; je le rebâtis avec une patience de fourmi. Cette fois, si l’on me rechasse encore, je veux forcer l’honnête et prude Albion à faire une grosse chose ; je veux la forcer à fouler aux pieds un « at home », la fameuse citadelle anglaise, le sanctuaire inviolable du citoyen. A Marine-Terrace, j’étais à l’auberge, l’Angleterre s’en est fait une excuse pour sa couardise. Le curieux, c’est que c’est la littérature qui m’a fourni les frais de cette expérience politique. La maison de Guernesey avec ses trois étages, son toit, son jardin, son perron, sa crypte, sa basse-cour, son look-out et sa plate-forme, sort tout entière des Contemplations. Depuis la dernière poutre jusqu’à la dernière tuile, les Contemplations paieront tout. Ce livre m’a donné un toit. »
Affranchi d’explusion, Victor Hugo doit en contrepartie se soumettre à une coutume féodale comme tout propriétaire, le droit de poulage, redevance annuelle de deux poules ou la somme correspondante de trois shillings et six pence, payable à la saint Martin auprès du mandataire de la reine d’Angleterre. « Moi, représentant du peuple et soldat proscrit de la République française, je paye tous les ans le droit de poulage à la reine d’Angleterre, dame des îles de la Manche, comme duchesse de Normandie et ma suzeraine féodale.Voilà un des bizarres effets de l’exil. »
La maison, qui avait été bâtie vers 1800 par un corsaire anglais, était vide lorsque Victor Hugo l’acheta. Il la transforma, abattit des cloisons, fit construire sur le toit le look-out, ce belvédère vitré qui devait devenir son cabinet de travail ; il la meubla entièrement, la décora, la façonna suivant les caprices de son étonnante imagination, « marquant tout de son empreinte, soignant chaque détail comme il soignait chacun de ses vers, donnant à chaque pièce l’éclat d’une Ode ». Tout y est l’oeuvre du poète « depuis les caissons des plafonds jusqu’aux lambris des parois, depuis les chambranles des portes jusqu’aux frises des cheminées ». « J’ai manqué ma vocation » disait-il à Jules Claretie, « J’étais né pour être décorateur. » Le feu de l’installation dura de 1856 à 1859. Pendant ces trois années il passa des après-midi entières à courir les vieilles maisons de Saint Pierre-Port, les brocanteurs, les fermes des paroisses, à la recherche de meubles anciens, de boiseries, de porcelaines, de soieries, de tableaux. Dans cette île qui fut longtemps un centre de course et de contrebande, et où l’industrie du meuble connut au dix-huitième siècle une véritable prospérité, Victor Hugo trouva des trésors. Visiter Hauteville House, c’est parcourir une de ses oeuvres. Si l’extérieur est quelconque, l’intérieur est unique.
La famille Hugo s’installa le 17 octobre 1856 à Hauteville House. La maison était inhabitée depuis neuf ans et passait pour être « visionnée ». Les Guernesiais racontaient qu’elle était hantée par l’esprit d’une femme qui s’y était suicidée. « Ces récits nous sont faits tout bas par la blanchisseuse, par la laveuse de vaisselle, par les voisins. La cuisinière en tremble… Un des derniers locataires, un pasteur, bien qu’ayant un bail d’un an, était parti précipitamment au bout de six mois. » Le poète s’en souvint-il en décrivant la maison de Gilliat dans Les Travailleurs de la mer ? « La maison comme l’homme peut devenir un cadavre. Il suffit qu’une superstition la tue. Alors elle est terrible. Ces maisons mortes ne sont point rares dans les îles de la Manche. »
L’action de ce tome se déroule en 1865 :
On appréciera le clin d’oeil des auteurs au roman de Victor Hugo L’Homme qui rit, bien que le poète ait commencé la rédaction de celui-ci le 21 juillet 1866 à Bruxelles et le termine deux ans plus tard, le 23 août 1868 toujours à Bruxelles. Mais c’est à Guernesey qu’il en rédige la plus grande partie, avec une interruption en 1867 pour écrire la pièce Mangeront-ils ?
Autre clin d’oeil, Adèle épouse de Victor Hugo, parle du courier de Juliette Drouet et de sa présence dans la même rue que la famille Hugo
LA RESTITUTION D’HAUTEVILLE HOUSE
Les dessins sont grandioses, Hauteville House vedette de ce tome prend vie sous nos yeux. La demeure imaginée et créée par Victor Hugo est parfaitement rendue dans les moindres détails. Chapeau bas ! La quasi totalité des pièces sont représentées.
Le vestibule et le porche de Notre Dame
Ce porche constitue ce que Victor Hugo appelait « l’arcade d’entrée » et Charles Hugo, plus justement le « frontispice » de la maison. Une étroite colonne le supporte. Juste au-dessus de son chapiteau on peut lire l’inscription suivante : « Victor Hugo – Nostre Dame de Paris ». L’encadrement de la fenêtre est orné de motifs, armoiries, chevaliers, diable, qui se réfèrent sinon à des scènes du roman, du moins à l’époque où il se déroule. A gauche et à droite du linteau, deux médaillons de bronze signés David d’Angers : Victor Hugo et sa fille Adèle avant l’exil. Ce fronton n’a rien de gothique, comme on a pu le prétendre, il ne fait pas songer aux porches des cathédrales, mais bien plutôt aux illustrations que Célestin Nanteuil grava justement pour le roman Notre Dame de Paris.
Le couloir aux faïences
Les murs et les plafonds du couloir, peints d’une couleur rouge brique, sont boisés, de multiples étagères et des niches permettent d’y loger des assiettes et des plats de Chine, de Sèvres ou de Rouen.
La salle à manger
Les murs, lambrissés de vieux chêne jusqu’à hauteur d’appui, sont recouverts de carreaux de Delft blancs, à grands dessins violets, représentant des corbeilles de fleurs. La cheminée, qui forme bloc avec cette miroitante mosaïque, dessine une gigantesque lettre H, faite de ces mêmes carreaux assemblés en cubes. La pièce est largement éclairée par deux fenêtres donnant sur le jardin. Le long du mur de gauche (en entrant), sous la blanche mosaïque aux quatre corbeilles violettes, une longue stalle noire. Dans une vaste salle à manger, la cheminée ne pouvait qu’être immense, elle en était l’âme. Bloc de céramique à fond blanc et son immense lettre H, initiale de Hugo, dessinnée en relief par de petits carreaux de Delft violets à personnages et encadrée elle-même de carreaux à dessins bleus. Le foyer est fermé par un panneau peint du XVIIème siécle, représentant, sur un fond noir, des fleurs rouges et blanches. A la prtie supérieure de la cheminée, une statue de Notre Dame de Bon-Secours, portant la date de 1756. Elle est posée sur un piedestal de demi-carreaux blancs que soutient un mascaron représentant une tête de femme. Cette statuette en vieux Rouen fut offerte à Victor Hugo par Juliette Drouet. La Vierge porte sur son bras, où passe le pan de sa tunique jaune et bleue, l’Enfant Jésus qui tient dans ses petites mains le globe du monde. Victor Hugo à laïcisé cette Notre Dame de Bon-Secours et en a fait une Liberté. On peut lire ces quatre vers gravés sur les deux côtés de la boiserie qui avance au dessus de la statue :
« Le peuple est petit, mais il sera grand.
Dans tes bras sacrés, ô mère féconde,
O liberté sainte au pas conquérant,
Tu portes l’enfant qui porte le monde. »
De chaque côté de la Vierge, deux beaux vases en Rouen bleu. A droite de la cheminée, dans l’angle en pan coupé de haut en bas, un vase en vieux Rouen placé sur un cube de carreaux blans, faisant corps avec le revêtement de céramique un plat rond décoré d’un cavalier, au dessous du plat une inscription sur un carré de faîence : Hannibal 1624 et enfin une fontaine en vieux Rouen.
La pièce est truffée d’inscriptions et il eut été impossible de toutes les restranscrire dans les dessins, notons seulement celle au dessus de la porte d’entrée : Exilium vita est.
Dans ce tome nous apprenons que la maison a été construite par Jack Tupper un corsaire. Dans la réalité nous savons que la maison a été bâtie vers 1800 par un corsaire portant probablement le nom de Tupper. Il faut savoir que Tupper était un nom répandu dans l’île. Poiur preuve on trouve dans la salle à manger de belles chaises hollandaises achetées à Guernesey. Six d’entre elles portent les armoiries d’une vieille famille guernesiaise, la famille Tupper, qui sont d’azur à trois sangliers passant, à la fasce d’or chargée de trois coquilles de gueules, au canton d’hermine chargé d’une médaille d’or aux effigies de William et Mary pendue à une chaîne du même.. Sous le blason, la devise : « L’Espoir est ma force ».
Ce blason remonte à 1692. En effet, au mois de mai de cette année, un des Tupper, John, rencontra par hasard la flotte française dans la Manche et à « grand risque » fit immédiatement voile pour Spithead afin d’avertir l’escadre anglaise. Le 29 mai 1692, l’amiral Russell surprit et défit Tourville à la Hougue. Le roi d’Angleterre William III, voulant récompenser John Tupper, lui fit présent d’une médaille d’or, frappée à son effigie et à celle de la reine Mary. C’est cette médaille qui est représentée sur le blason des Tupper, elle est conservée au « Lukis and Island Museum » de Guernesey.
Pendant le séjour de Victor Hugo, un autre Tupper, Henry, personnalité guernesiaise extrêmement originale et qui pendant de longues années joua un rôle de premier plan dans la conduite des affaires locales, était agent consulaire de France. Bien qu’il fût le représentant de l’Empire, il ne se cachait pas d’entretenir les meilleures relations avec le poète exilé. Il prit même la parole à l’une des fêtes de Noël que chaque année Victor Hugo organisait à Hauteveille House pour les enfants pauvres.
Le salon des tapisseries
Dans cette pièce, où pénètre une lumière adoucie, règne une atmosphère d’apaisement et d’intimité. La teinte fondue des tapisseries du XVIIIème siècle qui recouvrent les murs et le plafond, se marie admirablement à la masse sombre de la monumentale cheminée de chêne sculptée. Celle-ci occupe jusqu’au plafond presque tout le mur de droite. On peut noter le vaste miroir convexe qui réflechit tel un objectif photographique, les détails de la grande tapisserie à personnages du mur opposé. Contre ce dernier, un divan recouvert de tapis d’Orient.
L’atelier ou fumoir
Pièce lumineuse aux larges ouvertures vitrées donnant sur le jardin. Le long de la baie vitrée, faisant face à la porte d’entrée de la pièce, un long divan recouvert d’un tapis d’Orient. Au dessus de la porte, une peinture de l’école napolitaine, représentant un combat naval, à droite de la porte, une horloge Coromandel. Au milieu de la pièce, une table octogonale Louis XIII, dont les pieds sont, à leur partie supérieure, décorés de tête de femmes et de faunes, qui furent, paraît-il, sculptée par Victor Hugo. Le plafond d’où pend une lanterne chinoise en bois découpé et aux vitres décorées de personnages coloriés, est recouvert d’une tapisserie de Bruxelles.
La salle de billard
Vaste pièce, moins décorée que les autres,lLa salle de billard présentait certainement pour Victor Hugo une valeur sentimentale. Il avait rassemblé sur ces murs ce à quoi sans doute il tenait le plus, les images, à différents moments privilégiés, de tous les siens, cet autrefois d’avant l’exil, d’avant le deuil.
Le palier du premier étage
Une grande verrière ovale, encastrée dans le plancher du troisième étage, éclaire la montée de l’escalier. Du centre de la verrière pend un lustre en cristal à trois lumières. Sur le tour en bois clair de la verrière, Victor Hugo a peint une guirlande où se mèlent des fleurs, des inscriptions, de petits personnages, des oiseaux, des papillons.
Le salon rouge et le salon bleu
Bien que séparés par une cloison, les deux salons sont indissociables : le principe de leur décoration est le même, et leur porte n’étant jamais fernée, les miroirs de leurs cheminées, en les réfléchissant, les confondent. Le tout formant un magnifique ensemble de 12 mètres de long sur 5 mètres de large. la décoration, d’où le sombre chêne sculpté a été banni, est d’une richesse éclatante.
La cheminée a été décorée avec une recherche particulière. Elle est surmontée d’un long dais à festons, dont les extrémités en retrait rejoignent les deux angles des murs. Sous le dais, quatree nègres en bois doré élèvent d’éclatantes coupes de cuivre. Ces statues sont l’oeuvre d’un artiste vénitien du XVIIème siècle et provenaient de l’appartement que Victor Hugo occupait rue de la Tour d’Auvergne à Paris. Elles auraient, d’après le poète, décoré la galerie du Bucentaure, du haut de laquelle les doges de Venise lançaient à l’Adriatique l’anneau de mariage.
Au milieu de la pièce, une belle table en marqueterie de style Charles II au dessus incrusté d’ivoire, au centre on peut admirer Vulcain et Bellone et aux angles des allégories.
Les portes de séparation entre le salon rouge et le salon bleu n’étaient pratiquement jamais fermées.
La pièce est plus petite et la décoration est plus simple. Sur la cheminée, une grande glace fait face à celles du salon rouge, chacuneest comme une fenêtre ouverte sur l’autre. La cheminée est encadrée de chaque côté par deux hautes colonnes torses Louis XIII en bois doré, sur lesquelles court une arabesque de fleurs gravées, Victor Hugo prétendait qu’elles provenaient d’un lit ayant appartenu à Madame de Maintenon. Ce sont ces mêmes colonnes qui, dans la salle à manger de la Place Royale à Paris, soutenaient un dais placé au-dessus d’un divan.
De chaque côté de la cheminée, le long du mur en retrait est pendu un miroir convexe de fabrication anglaise, dont l’encadrement doré est surmonté d’un aigle éployant ses ailes. A droite de la cheminée une belle table japonaise octogonale en laque noire, dont le dessus rabattable est décoré d’incrustations de nacre. Comme dans le salon rouge on trouve au mur une tapisserie à la perle, ici représentant un magnifique paon brodé au fil d’or. Sous ce panneau, un banc sculpté de style Louis XV germanique. Celui-ci était appelé « banc d’Amsterdam », Victor Hugo l’avait rapporté d’un voyage effectué aux Pays Bas en 1861 et y avait peint lui-même les fleurs et le blason.
Au milieu du salon, une petite table Louis XIII à pieds tors. Sur la table, un brûle-parfum japonais en bronze, ayant la forme d’une fleur de lotus. Il fut offert à Victor Hugo par Alexandre Dumas en 1857.
La serre ou véranda
L’accès à la serre se fait par le salon bleu. Petite pièce remplie de lumière où à l’exception d’une vieille table en chêne aux pieds tors, tout est blanc (des divans couverts de coussins). A l’époque de Victor Hugo, deux vignes donnaient un abondant raisin et faisait un plafond de verdure. Une porte s’ouvre sur un escalier permettant d’accèder au jardin ou de se rendre sur le balcon. De cette pièce la vue est admirable, le jardin et ses grands arbres, les jardins voisins, la baie de Havelet, la mer.
La galerie de chêne
La galerie de chêne constitue un ensemble aussi cohérent que celui des salons, son antithèse exactement. Au lieu des soieries et des laques, après les couleurs les plus violentes, le vieux bois, employé presque seul. D’où l’expression de Charles Hugo : « Une véritable forêt de chêne ».
Au milieu de la pièce se dresse un lampadaire imaginé par Victor Hugo. Sur deux socles, le second carré, plus petit, décoré de panneaux où figurent, avec Saint Pierre, Saint Matthieu, Saint Paul et Saint André, un arbre aux nombreaux rameaux terminés par des bougeoirs qui sont en réalité des bobines de fil. Son faîte frôle le plafond : une Vierge à la tête penchée, au cou très long, statuette que Victor Hugo a taillée de ses mains dans le style archaïque.
Sur le mur de gauche en entrant, une stale de bois sculpté et plus loin un cabinet espagnol en bois clair que l’on appelait « armoire de Burgos », décoré d’incrustations de nacre et d’ivoire. Le fronton est surmonté d’une statuette de jade. Au-dessus du meuble, sur un panneau de cuir fauve, une inscription en clous dorés : « Les dieux sont au vainqueur, Caton reste aux vaincus » (traduction du vers de Lucain dans la Pharsale : Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni).
La galerie est divisée par deux stalles, à côté de chaque stalle, deux hautes colonnes torses, qui encadrent l’entrée de la chambre de Garibaldi, oint sans doute appartenu à un rétable du XVIIème siècle. Ces colonnes autour desquelles s’enroulent des pampres, supportent une longue solive décorée de boiseries guernesiaises. Au pied de la colonne de gauche, dont le fond est noir, l’inscription « Tristitia » (la tristesse), les sarments ont été peints en rouge, les grappes sont dorées, le vin dissipe la tristesse. L’autre colonne, au bas de laquelle est gravée l’inscription « Laetitia » (la joie) est peinte en rouge, les sarments et les raisins sont noirs, la joie même peut être un peu triste.
Devant la cheminée, une grande table Renaissance à huit pieds tors. Derrière la table sont alignés trois fauteuils. Le premier est en chêne, au revers du dossier deux inscriptions, l’une en clous dorés : Filius, l’autre gravée dans une petite pièce de bois rapportée : Amatus amat (le Fils, aimé il aime). Le fauteuil du milieu, plus grand que les deux autres est recouvert de cuir foncé, au revers de son dossier tendu de cuir fauve, l’inscription en clous de cuivre : Pater (le Père). Le troisième fauteuil est en chêne, sur le dossier est fixée une tapisserie représentant une petite fille dont les traits rappelaient peut-être ceux de Léopoldine, au revers du dossier l’inscription également en clous dorés : Mater (la Mère).
Un beau bateau hollandais aux larges voiles jaunies, décoré à la poupe d’armoiries finement sculptées et d’un lion d’or à la proue trône sur un meuble.
Sur le mur de gauche en entrant, une stalle de bois sculpté composée par Victor Hugo. Au dossier, trois panneaux guernesiais, sur les côtés du siège, un panneau gothique à motif dit « parchemin roulé »
Le palier bibliothèque
Au tournant de l’escalier, le mur est décoré d’une grande tapisserie flamande qui représente Cérès, des moissonneurs et des enfants cueillant des fleurs. Une glace en hauteur, à baguette de chêne sculpté, est appliquée sur la tapisserie et fait face au palier du deuxième étage. Au dessus la grande verrière ovale encastrée dans le plancher de l’étage supérieur, éclaire la montée de l’escalier.
Contre le mur, à l’extrémité de la rampe d’escalier, une très belle statue en bois du XVème siècle : Sainte Anne tenant dans ses bras la Sainte Vierge et l’Enfant Jésus.
Au premier plan, une vieille presse au socle pentagonal orné de panneaux gothiques. Des bibliothèques vitrées remplies de livres, se succèdent sur les murs. Entre la première et la deuxième, une horloge anglaise, portant le nom de John Burges Gosport, dans un beau coffre surmonté de deux boules de cuivre à pointes, son carillon a un son charmant (Charles Hugo l’avait surnommée l’horloge « au gai carillon »), elle indique les jours, les mois et les phases de la lune. Au-dessus de l’horloge, dans la boiserie, Victor Hugo a fait graver cette inscription : « Toutes laissent leur trace au corps comme à l’esprit. Toutes blessent hélas ! La dernière guérit ».
Devant l’horloge, une échelle peinte en rouge et décorée de dessins gravés et dorés, sur les marches un grand papillon et un coléoptère, sur les montants des fleurs, un moineau et les deux lettres HH, sur la pièce de bois qui maintient l’écartement des montants, les initiales VH.
Sur le plafond est tendue une vieille tapisserie à fond bleu, où les fleurs de lys alternent avec le monogramme de Louis XIII et d’Anne d’Autriche. Le palier est divisé en deux parties par une porte vitrée faite de deux encadrements superposés, provenant de glaces ou de tableaux et à l’intérieur desquels ont été fixées de petites traverses dorées qui maintiennent les vitres. Au-dessus de la porte, un miroir rond à encadrement doré.
On peut noter le soin apporté à l’exactitude du détail, les coupelles fixées sur la tapisserie servaient de protection aux flammes dans les lustres.
Le look-out
Le look-out, ou belvédère, entièrement vitré, que le poète s’était fait construire sur le toit de la maison, a la forme d’une serre. C’est une cage de verre inondée de lumière d’où l’on a une vue incomparable. C’est dans cette serre de 5 mètres et demi de long sur 3 mètres de large, occupée en grande partie par deux divans (où le poète posait ses feuilles afin d’en faire sécher l’encre) que Victor Hugo a travaillé pendant quatorze ans. Le plancher est de bois nu, au centre, la verrière ovale qui éclaire la montée de l’escalier. Devant, un poêle Louis XV en faïence blanche vernissée à reflets bleutés, orné à sa partie supérieure d’une charmante satuette de Vénus aux mains pleines de roses.
« Et cependant, pensif, j’écris à ma fenêtre,
Je regarde le flot naître, expirer, renaître,
Et les goëlands fendre l’air.
Les navires au vent ouvrent leurs envergures,
Et ressemblent au loin à de grandes figures
Qui se promènent sur la mer ».
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Le 17 septembre 2014 parution du tome 11 de la série
En avant première, quelques planches inédites avec l’aimable accord des Editions Delcourt et des auteurs de la série :
Bonne future lecture !
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Le 4 mars 2015 parution du tome 12 : Le puits de Jacob
Zelda et Gavroche sont recrutés par la résistance nord-américaine créée par celui qui vient de perdre la guerre mais sapprête à reprendre la lutte : Abraham Lincoln. En effet, les États du Sud sont soupçonnés davoir passé un pacte avec « ceux des profondeurs », une intelligence venue des entrailles de la Terre. L’enquête démarre avec cette alliance hors norme et lourde de menaces.
Notons au passage de beaux clins d’oeil : un dîner chez la famille Ingalls au complet dans la petite maison dans la prairie, et l’évocation de Gédéon Spilett (et sa fuite en ballon avec Cyrus Smith) ainsi que son apparition au cours de l’histoire (son interview de Joe l’esclave rescapé du siège de Fort Alamo).
Il est à noter que depuis le tome 11, Nuria Sayago est devenue la coloriste de la série.
Quelques planches en avant-première :
Bonne future lecture !
Une interview de Fred Duval et Thierry Gioux ici.
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Le 13 janvier 2016 parution du tome 13 : L’Ordre de l’obsidienne
1865. Zelda, Gavroche, l’archéologue Désiré et l’officier Spillett passent un pacte avec un bandit mexicain pour faire la lumière sur le mystérieux « ordre de l’Obsidienne », une confrérie secrète créée durant l’antiquité pour garder les grandes portes de téléportation. C’est compter sans l’agent Cooper, un redoutable tueur et membre de l’ordre qui est bientôt lancé sur leurs traces.
Nous retrouvons dans ce tome Jack Tupper du tome 10 et propriétaire initial de Hauteville House à Guernesey. Il est ici dans le Golfe du Bengale en sa maison « réplique » et il est savoureux de voir les faiences de la salle à manger au goût du pays :
Notons qu’Emem est maintenant en charge du story board.
Quelques planches en avant-première :
Bonne future lecture !
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En attendant la publication du tome 14 en septembre 2016, voici deux extraits de planches déssinées par Thierry Gioux et mises en couleur par Nuria Sayago, un superbe travail !
Le 14 septembre appproche à grands pas, la parution du tome 14 : Le 37ème parallèle ne saurait tarder.
À la recherche du trappeur Davy Crockett, gardien d’une idole qui permet de siéger au conseil de l’ordre de l’Obsidienne, Gavroche, Zelda et leurs alliés explorent le sud du continent américain et le fameux 37e parallèle. La région qui s’étend des côtes chiliennes à la Patagonie en passant par les cols enneigés de la cordillère des Andes se révèle à la hauteur de sa réputation : sauvage, inaccessible et dangereuse.
Notons dans cet opus un clin d’oeil à Davy Crockett, qui contrairement à ce que l’Histoire nous enseigne, n’est pas mort lors du siège de Fort Alamo en 1836, puisque nous le retrouvons en pleine santé plus de 30 ans après.
Le siège de Fort Alamo (23 février – 6 mars 1836) fut un événement majeur de la Révolution texane. Après un siège de 13 jours, les troupes mexicaines commandées par le général Antonio López de Santa Anna (le siège eut lieu durant les présidences de Miguel Barragán et de José Justo Corro) lancèrent un assaut contre la mission Alamo près de San Antonio de Bexar (aujourd’hui San Antonio aux États-Unis). Tous les défenseurs texans furent tués et la cruauté apparente de Santa Anna pendant la bataille poussa de nombreux colons et aventuriers américains à rejoindre l’armée texane. Poussés par l’envie de prendre leur revanche, les Texans battirent l’armée mexicaine à la bataille de San Jacinto le 21 avril 1836 qui mit fin à la Révolution.
Plusieurs mois auparavant, les Texans avaient chassé les troupes mexicaines hors du Texas alors partie de l’état de Cohuila y Texas et environ 100 soldats furent placés en garnison dans l’Alamo. L’unité fut renforcée par une unité menée par les futurs commandants du fort, James Bowie et William B. Travis. Le 23 février, environ 1 500 soldats mexicains arrivèrent à San Antonio de Béxar avec l’objectif de reprendre le Texas. Durant douze jours, les deux forces s’affrontèrent lors de plusieurs escarmouches. Conscient que sa garnison ne pourrait pas résister à une attaque de grande ampleur, Travis écrivit plusieurs lettres pour demander des renforts mais moins de cent hommes le rejoignirent.
Au matin du 6 mars, l’armée mexicaine avança sur l’Alamo mais ses deux premiers assauts furent repoussés. Alors que les soldats mexicains escaladaient les murs lors du troisième assaut, les Texans furent obligés de quitter les remparts et de se replier dans les bâtiments de l’intérieur du fort. Les défenseurs qui n’y parvinrent pas furent massacrés par la cavalerie mexicaine. Entre cinq et sept Texans se seraient rendus mais si cela fut le cas, ils furent rapidement exécutés. Selon les témoins oculaires, entre 182 et 257 Texans étaient morts tandis que les historiens estiment qu’entre 400 et 600 Mexicains furent tués ou blessés. Plusieurs non-combattants furent envoyés à Gonzales pour annoncer la défaite texane. La nouvelle causa la panique et l’armée texane, la plupart des colons et le nouveau gouvernement de la république du Texas s’enfuirent pour échapper à la progression de l’armée mexicaine.
Au Mexique, la bataille a souvent été éclipsée par les événements de la guerre américano-mexicaine de 1846-1848. Du fait de l’accroissement de la population anglophone dans la région au xixe siècle, le site devint connu comme l’équivalent américain de la bataille des Thermopyles et les terrains et les bâtiments furent finalement achetés par la législature du Texas au début du xxe siècle. L’Alamo est aujourd’hui « le site le plus touristique du Texas ». Si la bataille a été relatée dans de nombreux ouvrages historiques dès 1843, le grand public est aujourd’hui plus familiarisé avec les mythes propagés par les diverses adaptations cinématographiques et télévisuelles comme la série Davy Crockett dans les années 1950 et le film Alamo de 1960.
Ainsi qu’une évocation de la catastrophe aérienne de 1972 survenue dans la cordillère des Andes et rendue célèbre par le livre de Piers Paul Read « Les Survivants ».
Le 13 octobre 1972, un Fairchild FH-227 de la Force aérienne uruguayenne quitte l’aéroport international de Carrasco à Montevideo en Uruguay pour rejoindre Santiago au Chili. À son bord se trouvent principalement des membres de l’équipe de rugby à XV Old Christians de Montevideo qui doivent disputer un match au Chili, ainsi que des parents et des amis des joueurs. L’avion se pose pour une nuit à Mendoza en Argentine à cause des conditions climatiques difficiles. Le lendemain, le pilote de l’appareil, le colonel Julio Ferradas, choisit de traverser la cordillère des Andes au passage du Planchón, au sud de Mendoza. Une fois traversé, l’avion doit prendre le cap au nord pour rejoindre Santiago. Croyant avoir franchi entièrement le passage dans les nuages, le pilote avertit la tour de contrôle de Santiago qu’il se trouve au-dessus de Curicó et amorce sa descente. La navigation à l’estime du pilote est cependant fausse : la vitesse de l’avion est plus faible à cause du vent de face et le temps habituel de la traversée a été rallongé. L’avion descend trop tôt et percute un premier pic qui arrache l’aile droite ; celle-ci est projetée vers l’arrière et emporte la dérive, ce qui laisse un trou béant dans l’empennage. L’aile gauche est à son tour arrachée lors d’une collision avec un second sommet et le fuselage s’écrase sur un glacier à 3 600 m d’altitude dans une zone reculée du département de Malargüe à proximité de la frontière entre le Chili et l’Argentine.
Les survivants, bloqués dans le froid et la neige, apprennent par un poste de radio portatif, que les opérations de recherche ont été abandonnées huit jours après l’accident car l’avion, de couleur blanche, est jugé indiscernable dans la neige. Ayant épuisé leurs maigres réserves de nourriture, ils décident de manger les corps des morts qui ont été préservés par le froid. Le 29 octobre, une avalanche recouvre totalement l’avion qui sert d’abri contre le froid et le vent et fait huit nouvelles victimes. Dès les premiers jours, certains ont proposé de partir à la recherche des secours et des expéditions limitées ont été organisées autour de l’appareil, mais l’altitude, le froid, la malnutrition et la cécité des neiges empêchent toute entreprise de grande ampleur. Il est finalement décidé qu’un petit groupe parte chercher les secours avec les vêtements les plus chauds et les plus grandes rations de nourriture. Après plusieurs tentatives infructueuses, Fernando Parrado et Roberto Canessa parviennent à franchir la chaîne montagneuse se trouvant à l’ouest du site de l’écrasement, puis à descendre dans la vallée du Rio Azufre. Dix jours après leur départ, ils rencontrent un huaso, Sergio Catalán qui alerte les autorités. Le 22 décembre, deux hélicoptères de l’armée, guidés par Parrado, rejoignent le lieu de l’accident, mais ne peuvent secourir que la moitié des 16 survivants en raison du mauvais temps. Les autres sont récupérés le lendemain matin et hospitalisés à Santiago afin d’être soignés pour gelures, malnutrition, déshydratation, scorbut et mal aigu des montagnes. Les secours retournent finalement sur place avec un prêtre pour inhumer les corps à 80 m de l’avion dont les restes sont incendiés.
Sans oublier la ville de Medellin en Colombie déjà très au fait du pouvoir de la cocaïne
Quelques planches en avant première :
Bonne future lecture !
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Parution le 13 septembre 2017 du Tome 15 : Cap Horn.
Zelda et Gavroche doivent vaincre une entité venue du fond des océans pour asservir les humains. Ils sont aidés par « ceux des profondeurs », espèce en voie d’extinction. L’ aventure est surtout l’occasion de traverser la Patagonie et d’y rencontrer ses peuples aborigènes, mythiques comme les géants de Patagonie, et les Selk’nam, peuple dont le génocide a été reconnu par le Chili en 2003.
Ce tome marque la fin du cycle 4.
La Patagonie, également appelée « Le Grand Sud », désigne une région géographique appartenant au cône Sud située dans la partie méridionale de l’Amérique du Sud et partagée entre une partie chilienne à l’ouest et une partie argentine à l’est. La Patagonie comprend donc principalement le Sud de l’Argentine, sur 1 140 532 km2, et le Sud du Chili sur 256 093 km2. Ces deux régions, séparées par la cordillère des Andes, abritent des paysages contrastés de montagnes, de glaciers, de pampa, de forêts subpolaires, de littoraux, d’îles et d’archipels.
Habitées depuis plus de 10 000 ans par les Sud-Amérindiens tels les Mapuches, les Tehuelches ou les Selk’nams, ces terres furent décrites pour la première fois par l’italien Antonio Pigafetta dans son récit du premier tour du monde du navigateur portugais Fernand de Magellan publié en 1525. Après une colonisation lente et difficile, la plupart des autochtones disparurent, remplacés par une population métissée qu’on peut qualifier de « sudaméricano-européenne ».
Avec une densité de 3,8 habitants au km2 (3 habitants au km2 en Sibérie, 0,46 habitant en Alaska), la Patagonie est une des régions les moins peuplées au monde. Ses terres sont exploitées pour l’élevage de bétail en d’immenses fermes appelées estancias ou convoitées pour leurs ressources naturelles importantes. Elle représente des intérêts écologiques et géonomiques importants qui suscitent des convoitises.
Les Patagons (ou géants de Patagonie) sont une tribu mythique de Sud-Amérindiens décrite dans les premiers témoignages européens sur la Patagonie, dont en tout premier lieu celui d’Antonio Pigafetta (chroniqueur de l’expédition conduite par Magellan au début du XVIème siècle). Ils étaient censés mesurer plus du double de la taille d’un être humain ordinaire, certains témoignages les créditant de 3 m, voire plus. Jusqu’à la fin du XVIIème siècle, les cartes des Amériques appelaient regio gigantum (région des géants en latin) cette partie de l’Amérique du Sud. Des descriptions européennes de la région alimentèrent le mythe pendant 250 ans avant d’être discréditées à la fin du XVIIIème siècle alors même que Francis Drake avait déjà observé en 1578 : « Les sauvages ne sont pas de si grande taille que les Espagnols le disent ».
Plusieurs navigateurs ont contribué à soutenir l’existence des Patagons.
À la fin des années 1580, Thomas Cavendish prétendit avoir vu des « géants de 15 ou 16 empans de haut » en Patagonie.
En 1767, la relation de voyage de John Byron relançait le mythe des Patagons en prétendant que l’équipage de la HSM Dolphin avait rencontré des autochtones de près de 3 m de haut sur les côtes de Patagonie, des « hommes gigantesques » : « Leur taille moyenne nous parut être d’environ huit pieds, et la plus haute de neuf pieds et plus. Nous n’employâmes aucune mesure pour nous en assurer, mais nous avons des raisons de croire que nous diminuons leur grandeur plutôt que nous l’exagérons ».
À la même époque, Louis Antoine de Bougainville écrivait : « Ces hommes sont de belle taille : parmi ceux que nous avons vus, aucun n’était en dessous de cinq pieds cinq à six pouces, ni au-dessus de cinq pieds neuf à dix pouces […]. Ce qui m’a paru gigantesque en eux, c’est leur énorme carrure, la grosseur de leur tête et l’épaisseur de leurs membres. »
Il fut généralement admis par la suite que les géants patagons n’étaient qu’un mythe grâce notamment au voyage d’étude d’Alcide Dessalines d’Orbigny qui lui fit écrire en 1830 : « je ne voyais pas en eux des géants, mais seulement de beaux hommes. »
Au XXème siècle, des études anthropométriques ont permis d’établir que la moyenne de taille chez les hommes tehuelches, l’ethnie rencontrée par l’expédition de Magellan, était d’environ 1,80 m, « une stature plus imposante que les Ibériques [du XVIème siècle], et il est tout à fait compréhensible que ces derniers les aient décrits comme des géants ».
Clin d’œil amusant, Davy Crockett a croisé la route de Charles Darwin en Patagonie en 1836 :
Cet opus nous permet aussi d’en apprendre plus sur les Selk’nam petit peuple amérindien disparu depuis le milieu du XXème siècle.
Lors de leur arrivée, en 1520, les Européens rencontrèrent les Selknam au nord-est de la Grande Île de Terre de Feu. Ce peuple aborigène était un rameau des « patagons » ou « Tehuelches » qui avaient pénétré dans l’île depuis le WIVème siècle, forçant ainsi les Yagans (ou yamanas) et les Kawéskar (ou Alakalufs) à se déplacer vers les côtes méridionales et occidentales.
Ils étaient chasseurs et cueilleurs et vivaient principalement du guanaco qu’ils chassaient avec de petits arcs et des flèches à pointe en pierre. En plus du guanaco, ils s’alimentaient de divers autres animaux : pinnipèdes, manchots, cétacés, mollusques, crustacés et cormorans. Ils consommaient aussi en abondance un champignon parasite du Nothofagus, le Cyttaria.
À partir de 1880, les estancieros ou propriétaires terriens d’estancia (ferme d’élevage), principalement d’origine britannique, commencèrent la colonisation des terres des Selknam. Celles-ci, qui étaient un espace libre pour ces chasseurs nomades, furent en grande partie clôturées par le développement de l’élevage des ovins. Beaucoup de Selknam brisèrent ces nouvelles clôtures afin de continuer à chasser librement pour se nourrir. Ils tuèrent des moutons importés, qu’ils appelèrent les « guanacos blancs ». Bénéficiant de la passivité, si ce n’est de la complicité des gouvernements chilien et argentin, des éleveurs firent de la réaction des indigènes un prétexte pour s’organiser en milices ou recruter des tueurs à gage, afin de les chasser et les assassiner. Inférieurs en nombre, disposant seulement d’arcs et de couteaux, ces Amérindiens se défendaient malgré tout ; des colons se concertèrent alors et projetèrent l’extermination des hommes et la déportation dans des réserves d’une partie des femmes et des enfants selk’nam.
Il existe des photos, bien ou mal légendées Exposition Universelle de Paris, 1898, dans ou hors d’un zoo humain. Certaines photos ont été prises dans des villes occidentales.
En 1905, il ne restait plus que 500 Selknam sur une population estimée à 4000 en 1880. Quelques-uns furent pris en charge et survécurent auprès de missions salésiennes de Terre de Feu, où ils furent sujets à des épidémies à la suite de maladies contractées auprès des colons. Parmi les derniers Selk’nam, Angela Loij est morte en 19744 ; Virginia Choinquitel, une Ona vivant en banlieue de Buenos Aires, est décédée en 1999.
L’extermination des Selk’nam, longtemps ignorée ou occultée par l’histoire nationale, fut reconnue comme un génocide en 2003 par une commission instituée par le gouvernement chilien, la « commission pour la vérité historique et un nouveau traitement des peuples indigènes », et des sénateurs chiliens proposèrent en 2007 de reconnaître officiellement le génocide. (Texte intégral à lire ici).
Au fil des pages nous en apprenons un peu plus sur le rite du Hain :
La cérémonie du Hain, principale cérémonie des selk’nam, pouvait durer plus d’un an, ce qui donne une idée de son importance dans cette société. Le but était de conjurer la possibilité d’un retour au mythe fondateur d’une société matriarcale. Il s’agissait également d’un rite initiatique pour les jeunes hommes. Le nom Hain fait référence au hain, une hutte interdite aux femmes et dont elles auraient eu un usage tout aussi exclusif au temps du mythe matriarcal. Les hommes, cachés sous des costumes impressionnants (masques et maquillages corporels), faisaient irruption pour jouer dans ce « premier théâtre de l’humanité ». Les femmes, uniquement spectatrices, accompagnées des enfants, étaient censées croire qu’elles assistaient à de réelles apparitions d’êtres surnaturels. La cérémonie évoquait la domination du soleil sur la lune, à travers différentes scènes, dont certaines extrêmement violentes car il fallait intimider les femmes.
Pour cette cérémonie il se construisait une hutte pour isoler les novices (Kloketen) et convoquer les esprits.
Effrayé par la présence de l’Esprit (Shoort), le jeune homme était instruit sur l’origine du monde, les mystères de la nature et recevait une formation intensive sur la chasse et les techniques de survie. Les esprits étaient des acteurs déguisés (affublé d’un masque et le corps peint) pour cacher leur identité mais ceux-là se sentaient possédés par les esprits et rentraient en transe.
C’est l’occasion de parler de Martin Gusinde, missionnaire allemand envoyé à Santiago en 1912 qui accomplit son premier voyage en Terre de Feu en 1918. Il découvre des peuples déjà considérablement amoindris. Dans un engagement très personnel, il entreprend d’étudier et de photographier de façon très complète les populations de la pointe du continent américain. Dans ce qui aurait pu rester un exemple classique de parcours d’un missionnaire ethnographe apparaît aujourd’hui une expérience de terrain sans équivalent. Martin Gusinde s’immerge en profondeur au sein de ces sociétés. Il sera l’un des rares Occidentaux à être introduit au rite initiatique du Hain. Au fil de quatre voyages, il recueille la parole des Selk’nam, Yamana et Kawésqar, le missionnaire devient ethnologue.
« Petit à petit, j’ai pu pénétrer un monde étrange. (…) Pendant des heures, je me suis assis en cercle avec ces peuples, tel un élève avide de connaissances. J’ai essayé de me débarrasser de la pensée européenne, des valeurs de la modernité et de tout sentiment personnel afin de capter, de comprendre un univers conceptuel particulièrement singulier »
Nous ne connaissons que de rares témoignages photographiques de ces peuples d’une culture essentiellement orale. L’isolement de Gusinde sur ce terrain du bout du monde donne à sa démarche une grande singularité. Fasciné par ce qu’il voit, il va réaliser plus d’un millier de photographies, toutes produites avec une chambre photographique portable. Les portraits qu’il saisit constituent une sorte d’arbre généalogique et social. Ses photographies laissent peu de place aux paysages, encore moins à des séquences de vie quotidienne. En revanche, le corps y apparaît de façon majoritaire, et dans ses manifestations les plus extraordinaires qui sont celles des esprits et des acteurs du rituel du Hain (Selk’nam).
Au fil de quatre voyages, à la manière de ce que le grand photographe américain Edward Curtis fit avec les Indiens d’Amérique du Nord, Martin Gusinde va se transformer en ethnologue et figer sur plus d’un millier de clichés les rites, coutumes, et paysages de ces peuples de la finis terrae. Un travail photographique qui constitue un témoignage unique sur le mode de vie de ces sociétés désormais éteintes, et qui ressurgit aujourd’hui grâce à la parution de l’ouvrage L’esprit des hommes de la Terre de Feu, aux éditions Xavier Barral.
Et, enfin, n’oublions pas le terrible affrontement, au sein du Cap Horn, entre l’isopode (entité venue du fond des océans pour asservir les humains) et le léviathan accompagné de nos héros, Zelda et Gavroche, aidés par « ceux des profondeurs », espèce en voie d’extinction.
Bonne lecture !
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Parution le 12 septembre 2018 du Tome 16 : Mélancholia :
Un nouveau cycle commence, nous suivons deux histoires en parallèle :
La première : en Afrique du sud dans les mines à ciel ouvert de Johannesbourg où il faut creuser toujours plus profondément pour trouver de l’or. Mais cet or a un prix : celui du sang.
Witwatersrand, sud de l’Afrique, 1867. Le directeur de la mine, son contremaître et un ingénieur parlent des travaux de terrassement qui avancent. Ils ont perdu quelques hommes mais le dirigeant, en bon colonialiste, ne s’en offusque pas le moins du monde. Un mineur vient alors les alerter. On a découvert au fond de la mine de curieuses runes dans les galeries les plus récentes.
Le Witwatersrand (mot afrikaans qui signifie : la crête des eaux blanches) est une chaîne de collines relativement élevée (1 800 mètres) située dans la région historique du centre du Transvaal en Afrique du Sud. Cet important massif de la province du Gauteng s’étend de Pretoria à Vereeniging, en passant par la région de Johannesburg.
Près de 40% de l’or extrait à ce jour provient du même gisement : le bassin sud-africain du Witwatersrand. L’or y est plus concentré que n’importe où ailleurs sur Terre. Une particularité qui questionne tous les géologues.
Il y a de ça 2.5 milliards d’années, le Rand, comme on l’appelle, était une vaste dépression recouverte d’une eau peu profonde et entourée de collines remplies d’or. Avec le temps, l’érosion entama les collines concentrant l’or entre les couches de sédiments. Des millions d’années plus tard, des soulèvements violents brisèrent la croûte terrestre en faisant descendre les couches.
Pour information, vous trouverez Ici un article sur Johannesburg ou la ruée vers l’or sud-africain.
Et la Deuxième : Eglantine Pontmercy (petite-fille adoptive de Victor Hugo, dans la série) agent spécial d’Hauteville House, retrouve le Fantôme de Paris (dont nous avons pu suivre les aventures lors du deuxième cycle, tomes 5 à 9) dans un asile londonien. Ce dernier, en proie à une malédiction, traqué par des guerriers zoulous, lui offre son héritage, une immense fortune constituée au long de plusieurs siècles d’activité criminelle.
Notons au passage le clin d’œil à Bram Stoker et à son roman Dracula, en la personne du Docteur Seward :
Adèle Hugo, fille de Victor Hugo est évoquée :
Cinquième enfant de Victor et Adèle Hugo, née le 28 juillet 1830. Il semble qu’elle ait été la seule dans la famille Hugo qui ait eu le goût de la musique. Pendant l’exil, en particulier, elle consacrera de longues heures quotidiennes au piano. A Guernesey, elle sera en proie, en décembre 1856, à une grave crise de dépression nerveuse. En janvier 1858, Madame Hugo, qui s’ennuyait beaucoup dans l’île, emmène sa fille à Paris, où elles resteront jusqu’en mai ; l’année suivante, nouveau séjour à Paris (11 mai – 6 septembre). Le 28 septembre 1861, Adèle se considère comme fiancée au lieutenant anglais Albert Pinson, qu’elle avait connu en 1854 et qu’elle retrouve à Guernesey ; cependant, Pinson ne le demande toujours pas en mariage ; espérant encore, elle refuse, le 2 juin 1863, la cinquième demande en mariage qui lui a été adressée depuis 1855. Pinson ayant été muté à Halifax, au Canada, Adèle quitte subrepticement Guernesey, le 18 juin 1863, en emportant les bijoux de sa mère, pour aller le retrouver.
« Cette chose incroyable de faire, qu’une jeune fille esclave au point de ne pas pouvoir sortir seule cinq minutes pour aller acheter du papier, marche sur la mer, aille sur la mer, passe de l’ancien monde au nouveau monde pour aller rejoindre son amant ; cette chose-là je le ferai. »
Entre temps, Pinson s’est marié ; Adèle à cette nouvelle, perd la raison, reste au Canada et refuse de rentrer. En 1872, revenue en France, elle sera internée dans une maison de santé de Saint-Mandé. Elle y mourra le 21 avril 1915, âgée de quatre-vingt-cinq ans, sans avoir recouvré la raison. Elle avait tenu un Journal de l’exil, qui contient des détails précis sur les activités familiales. Le film de François Truffaut : Histoire d’Adèle H, retrace son destin tragique.
Les instructions pour trouver le trésor du fantôme de Paris sont contenues dans le recueil d’un jeune poète parisien inconnu : Paul Verlaine
Poèmes saturniens est le titre du premier recueil poétique en vers de Paul Verlaine, publié en 1866 chez l’éditeur Alphonse Lemerre. Paul Verlaine, poète maudit, n’était pas reconnu pour son art.
Verlaine est à cette époque lié avec le groupe constitué autour du jeune poète Louis-Xavier de Ricard, rencontré en 1863, alors qu’il animait une revue littéraire, philosophique et politique : la Revue du Progrès moral, littéraire, scientifique et artistique, dans laquelle Verlaine publie son premier poème en août 1863 : Monsieur Prudhomme, peu avant que la revue ne soit interdite par la censure impériale, et son directeur condamné à huit mois de prison (en mars 1864) pour avoir outragé la morale religieuse et avoir traité, sans autorisation, d’économie politique et sociale.
À sa sortie de la prison de Sainte-Pélagie, Ricard ouvre un nouveau salon, politique et littéraire, dans les appartements de sa mère, que fréquentent, outre Verlaine et son ami (et futur biographe) Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, José-Maria de Heredia, François Coppée, Villiers de l’Isle-Adam, ou encore Anatole France-Thibault. Les frères Goncourt donneront dans leur Journal une description peu amène de ce cénacle :
« Dans une maison des Batignolles, chez un M. de Ricard, s’est abattue toute la bande de l’art, la queue de Baudelaire et de Banville, des gens troubles, mêlés de cabotinage et d’opium, presque inquiétante, d’aspect blafard. »
Un ami de Verlaine, le violoniste et poète amateur Ernest Boutier, met en contact ce dernier avec un petit libraire spécialisé dans les ouvrages pieux, Alphonse Lemerre, qui accepte d’éditer, mais à compte d’auteur, les œuvres des jeunes poètes : cette collection consacrée à la poésie contemporaine est inaugurée par la parution en 1865 du premier recueil de Ricard, Ciel, Rue et Foyer.
Dans l’entresol de la librairie de Lemerre, se réunit alors le groupe constitué autour de Ricard, qui lance la même année une éphémère nouvelle revue hebdomadaire, exclusivement littéraire celle-là : L’Art. On y défend des théories artistiques diamétralement opposées à celles prônées par la Revue de Progrès : le culte de la perfection formelle est célébré, en même temps que la théorie de « l’art pour l’art », héritée de la préface de Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier, dont le roman avait été vivement critiqué dans l’avant-dernier numéro de la Revue du Progrès. Paul Verlaine publie deux poèmes dans cette revue, et surtout une importante étude sur Charles Baudelaire, envisagé notamment comme le maître de la transfiguration poétique des lieux communs, ainsi que comme étant le poète qui accorde le primat à la sensation plutôt qu’à la part intellectuelle ou à la part affective de l’être, « ce qui sera le fondement même de l’art verlainien. »
Après la disparition de L’Art, sous l’impulsion de Catulle Mendès, est lancée, en mars 1866, une nouvelle revue : Le Parnasse contemporain. Les poètes qui publient dans la revue partagent pour l’essentiel un même refus de la poésie sentimentale de la période romantique (de ce que Baudelaire appelait les jérémiades lamartiniennes), mais voir dans le groupe qui se réunit dans l’entresol de la librairie Lemerre une nouvelle école poétique, une école parnassienne, relève largement de l’illusion rétrospective : Catulle Mendès et Louis-Xavier de Ricard dénonceront l’idée fausse qu’une école ait jamais réuni cette constellation mouvante de jeunes poètes imprimés dans Le Parnasse contemporain autour de principes partagés ou d’une visée esthétique commune et définie. Ainsi, en 1898, Louis-Xavier de Ricard peut écrire dans ses Petits Mémoires d’un Parnassien :
« Nous voulions dire seulement que la passion n’est pas une excuse à faire de mauvais vers, ni à commettre des fautes d’orthographe ou de syntaxe, et que le devoir de l’artiste est de chercher consciencieusement, sans lâcheté d’à peu près, la forme, le style, l’expression les plus capables de rendre et de faire valoir son sentiment, son idée, ou sa vision […] À part ce dogme commun – s’il y a là vraiment un dogme – nous gardions jalousement sur tout le reste notre liberté personnelle. D’école parnassienne, dans le sens traditionnel du mot, il n’y en eut jamais. »
Sept des poèmes qui entrent dans la composition des Poèmes saturniens sont publiés primitivement dans le Parnasse contemporain : Il bacio, Dans les bois, Cauchemar, Sub urbe, Marine, Mon rêve familier et L’Angoisse. Deux autres paraissent dans la Revue du XIXe siècle : Nuit du Walpurgis classique (sous le titre de : Walpurgis classique, en août 1866) et Grotesques (dans le numéro d’octobre-décembre 1866).
On sait peu de choses de la genèse du premier recueil poétique de Verlaine. La matière en aurait pour l’essentiel été composée, selon leur auteur, à l’époque où ce dernier était au lycée, en première et en terminale, peut-être même déjà en seconde. La critique moderne n’a pourtant pas accueilli sans une certaine circonspection cette affirmation : « On hésite, sauf pour quelques pièces peut-être comme Nocturne parisien, à croire que la quasi-totalité de ces poèmes étaient écrits dès les années de lycée », écrit ainsi Jacques Borel dans l’édition qu’il a donnée des Poèmes saturniens.
On suppose par ailleurs, mais le point est discuté, que les Poèmes saturniens reprendraient pour l’essentiel le projet d’un volume intitulé Poèmes et Sonnets, et que celui-ci aurait donc, à l’imitation de la Philomena de Catulle Mendès, comporté deux parties. Le titre définitif (et, probablement, l’organisation définitive de l’ouvrage) serait apparu en 1865, Verlaine ayant alors composé le poème liminaire en guise d’introduction.
Les Poèmes saturniens sont publiés en novembre 1866 chez Lemerre, en même temps Le Reliquaire de François Coppée. Publiée suivant la règle édictée par Alphonse Lemerre (et ainsi que le seront tous les volumes de Verlaine jusqu’à Jadis et Naguère) à compte d’auteur, l’édition en est financée par la cousine de Verlaine, Elisa Moncomble.
Le recueil Poèmes saturniens contient 25 poèmes répartis en 4 sections, 12 poèmes en liberté à la fin du recueil, un prologue et un épilogue.
Cette structure n’est pas sans faire penser à celle des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire.
Le prologue s’ouvre d’ailleurs sur un poème à la tonalité baudelairienne, Les Sages d’autrefois qui valaient bien ceux-ci, où Verlaine place son recueil sous le signe de Saturne.
S’ensuivent quatre sections : Melancholia, Eaux-fortes, Paysages tristes et Caprices.
Ces 4 sections désignent chacune un art :
* Melancolia est un titre sans doute inspiré de la gravure Melancholia de Dürer. Il peut s’agir également d’une référence à Victor Hugo, qui avait intitulé ainsi le second poème du livre III des Contemplations.
* Eaux-fortes est un procédé de gravure utilisant de l’acide
* Paysages tristes est un style pictural (comme chez Jean-Baptiste Camille Corot)
* Les Caprices sont des gravures ou dessins du 17ème ou du 18ème siècle
Ces références à la peinture montrent sans doute le désir de Verlaine de faire une poésie totale qui soit une synthèse de tous les arts.
Mais dans l’ensemble, les poèmes saturniens sont très hétérogènes. Ce qui les unit, c’est qu’ils sont placés sous l’influence de Saturne qui leur donne une tonalité mélancolique.
Mais revenons à notre tome 16 :
S’ensuit une recherche dans le Paris de l’époque qui va permettre à Eglantine de croiser la route d’une mystérieuse femme, complice du fantôme de Paris
Notons un clin d’œil au peintre Munch et à son célèbre tableau le cri :
La Cour des Miracles est aussi évoquée :
Rendue célèbre par Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, la Cour des Miracles a bel et bien existé. Au courant du XVIIe siècle, Paris aurait même compté jusqu’à une douzaine de cours, toutes fréquentées par des brigands et des pauvres gens.
Dans son roman, Victor Hugo décrit l’endroit comme une « hideuse verrue à la face de Paris ». « Il était en effet dans cette redoutable Cour des Miracles, où jamais honnête homme n’avait pénétré à pareille heure; cercle magique où les officiers du Châtelet (…) qui s’y aventuraient disparaissaient en miettes; cité des voleurs, hideuse verrue à la face de Paris (…) ce ruisseau de vices, de mendicité, de vagabondage (…) ruche monstrueuse (…) hôpital menteur (…) C’était une vaste place, irrégulière et mal pavée (…) C’était comme un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique. »
Difficile aujourd’hui d’imaginer de telles zones nichées en plein cœur de la capitale. D’après les plans topographiques de l’époque, des cours des miracles existaient dans la rue de l’Échelle ou la rue du Bac. Mais la Grande cour des Miracles, aussi appelée Fief d’Alby, celle à laquelle fait référence Victor Hugo, se situe entre la rue du Caire et la rue Réaumur, dans l’actuel IIe arrondissement de Paris.
Mais pourquoi parler de « miracle » alors qu’il semblerait que ce lieu accueille toute la misère de France? Dès le Moyen-Âge, les fréquentations de la Cour des Miracles sont variées: mendiants, vieillards, vagabonds, estropiés, voleurs, prostituées, etc… Bourgeois et membres de la maréchaussée évitaient autant que possible de se rendre dans ce coupe-gorge.
La journée, mendiants et éclopés se rendaient dans les beaux-quartiers pour apitoyer les passants sur leurs sorts. Mais, au moment de retourner dans leur lieu de prédilection à la nuit tombée, vieillards, aveugles et estropiés guérissaient de leurs maux, comme par miracle. Leurs infirmités étaient bien souvent feintes dans le seul but de récupérer quelques pièces.
Aujourd’hui encore, on parle de Cour des Miracles pour désigner un lieu mal fréquenté.
Contrairement aux apparences, les membres de la Cour des Miracles étaient parfaitement hiérarchisés et organisés. Ils avaient même des lois, une langue et même un roi qui commandait tous les mendiants de France.
De quoi inquiéter le pouvoir royal de l’époque qui va tenter de mettre fin à cette société secrète. En 1630, Louis XIII ordonne ainsi la construction d’une rue traversant la Grande Cour des Miracles de part en part. Mais une partie des maçons est assassinée avant la fin du projet.
En 1667, Louis XIV charge le lieutenant général de police de Paris, Gabriel Nicolas de La Reynie, de détruire les divers centres de délinquance qui gangrènent la capitale. 60.000 mendiants et estropiés sont marqués au fer rouge et envoyés aux galères. Une démonstration de force qui ne trouve pas d’effet dans la durée puisque les voleurs et mendiants reprennent petit à petit possession des lieux.
Il faut attendre 1784 et un édit royal ordonnant la destruction totale de toutes les maisons du Fief d’Alby pour mettre fin à la Grande Cour des Miracles.
Dans cet opus nous croisons aussi des zoulous :
Un peu d’histoire :
Chaka kaSenzangakhona aussi appelé Chaka Zoulou ou Shaka Zulu, aussi orthographié Shaka ou Tshaka, né en 1787 et mort en 1828, est un roi zoulou. C’est le fondateur du royaume zoulou.
Chaka naît en 1786. Il est le fils de Senza Ngakona, chef de clan Abatetwa (une fraction du peuple Ngouni). Sa mère se nomme Nandi. L’union entre Senza ngakona et Nandi n’est tolérée que parce que Senza Ngakona est un des chefs du clan des Abatetwa. Chaka est d’abord à la charge de son père, puis sous la pression des co-épouses de ce dernier est renvoyé chez sa mère. C’est alors le début d’une vie de brimades, d’humiliations et d’oppression : berger, Chaka est maltraité par ses camarades, traité de bâtard, battu et laissé pour mort sur un terrain. Expériences qui le forgeront et l’endurciront.
En compagnie de sa mère Nandi, Chaka va ensuite d’abord vivre chez son grand-père. Puis, sur requête de Senza Ngakona, Ngomane, un chefs de la tribu des Mtetwas leur donne un toit et se montre bon à leur égard. Chaka n’oubliera pas cela : devenu un puissant conquérant, il fera de Ngomane son second.
Sept années après être arrivé chez Ngomane, Chaka devient membre de l’armée de Dinguiswayo, un célèbre chef Mtetwa. Chaka s’est métamorphosé : le frêle et maladroit garçon s’est transformé en jeune homme robuste. Il est le guerrier le plus fort de l’armée de Dinguinswayo, est doué d’une force physique prodigieuse, est charismatique et excelle dans le combat à main nu. Sa réputation s’étend et il devient bientôt le porte parole et le bras droit de Dinguiswayo.
Le père de Chaka qui l’avait autrefois envoyé vivre hors de son domaine, devint un de ses plus fervents admirateurs, au point de faire de lui son héritier (malgré le fait que Chaka soit issu d’une union illégitime). Cependant, à sa mort, c’est Sijuana, un des demi-frères de Chaka qui prend sa succession. Chaka organise un complot et l’assassine alors qu’il prend un bain devenant ainsi le chef de son clan. Dinguiswayo, qui a aidé Chaka a devenir chef de clan Ngouni à la mort de son père est tué lors d’une attaque surprise par un de ses ennemis, Zwidé. A la suite de cet événement, les régiments élisent Chaka à titre de chef souverain. Chaka défait les troupes de Zwidé qui s’enfuit et meurt peu après. Il devient le chef de la majeure partie des tribus du peuple Ngouni et s’est transformé en homme de guerre à l’énergie implacable et inaccessible à la pitié.
Lorsque Chaka prend la tête des Ngounis, qu’il renommera Amazoulou (Amazoulou, « ceux du ciel », nom qui deviendra par la suite « Zoulou »), ces derniers ne possèdent pas plus de 100 000 km² de terre. Chaka, ambitieux et conquérant remodèle son peuple en une armée de métier constituant le pivot de la société, ce qui en bouleverse les structures traditionnelles. La circoncision et les cérémonies afférentes sont supprimées comme une perte de temps. La période d’initiation est consacrée à la préparation militaire. Les classes d’âge sont désormais intégrées comme des régiments successifs. On sert de 16 à 60 ans. Le mariage n’a lieu qu’entre 30 et 40 ans et est accordé en bloc aux régiments les plus braves comme une sorte de récompense. Ces guerriers mariés formaient dans l’armée une partie séparée des célibataires. (La notion de famille, importante dans la société africaine, est supprimée au profit de l’efficacité militaire).
Les régiments sont constitués d’un millier de soldats, hommes ou femmes, les femmes servant surtout à l’intendance. Les chefs de régiment sont les « Indounas ». Entre deux guerres, les membres des régiments sont cantonnés en camp d’entraînement et se livrent à des exercices d’entraînement quotidiens et intensifs. Chaka supprime les sandales pour ses soldats car il est d’avis qu’elles ralentissent les mouvements. Leur nourriture est constituée presque uniquement de viande, ils ont interdiction de boire du lait. Au combat, Chaka met en place une discipline de fer : reculer, revenir sans son arme entraîne l’exécution capitale. Un Indouna qui revient sans butin peut-être condamné à « être avalé », c’est à dire à être éliminé physiquement, parfois avec tous ses hommes.
Chaka révolutionne ensuite la stratégie militaire de son armée. A cette époque, il est de coutume dans les guerres intra africaines de projeter sa lance, puis d’avancer ou de reculer selon la réaction de l’ennemi. Chaka considère cette stratégie comme inefficace, voire lâche. Il fait fabriquer des sagaies raccourcies à lame très large. La sagaie devient ainsi utilisable seulement en combat corps à corps et incite le guerrier à l’offensive permanente s’il ne veut pas être défavorisé par des adversaires portant des armes longues.
Chaka change également la stratégie d’attaque en ordre dispersé : il opte pour la stratégie d’attaque « en tête de buffle » : les troupes sont divisées en quatre corps, deux ailes forment les cornes de buffle et deux corps centraux placés l’un derrière l’autre forment le « crâne ». Opérant en mouvement tournant, l’une des ailes attaque, tandis que l’autre se cache et n’intervient que lorsque le combat est engagé. Ces ailes sont composées de jeunes guerriers. Leur tâche est d’empêcher l’ennemi de décrocher, de le harceler pour le rabattre vers le centre. Là, à l’avant-centre, des guerriers expérimentés, qui attendent embusqués, s’élancent pour prendre l’ennemi dans un étau. Moment crucial du combat, où l’arrivée de forces fraîches doit précipiter la victoire. Mais si la décision n’est pas arrachée, alors l’arrière garde, formée de vétérans, qui, jusque là, était restés en réserve, assis, le dos tourné à la bataille intervient à son tour.
L’armée de Chaka à son apogée comptera plus de 100 000 hommes. Chaka oriente l’expansion des zoulous dans deux grandes directions : vers l’ouest où les Sotho et les Bechouana sont « dispersés » et bousculés. Vers le sud contre les Tembou, Pondo et Xhosa. Chaka pratique le « Mfecane » : les vieillards des peuples vaincus sont supprimés, les femmes et les jeunes incorporés. Les jeunes ont la vie sauve à condition de s’enrôler dans les « Impis », d’abandonner leur nom et leur langue, et de devenir de véritables Zoulous.
En 1820, quatre ans après le début de sa première campagne, Chaka avait conquis un territoire plus vaste que la France. Selon certains historiens, ses conquêtes seraient responsables directement ou indirectement de la mort de plus de 2 millions de personnes. Le déclin de Chaka commencera avec sa tendance de plus en plus affirmée à la tyrannie qui lui valu l’opposition de son propre peuple : au retour d’une expédition, Chaka fit massacrer tous les guerriers qui avaient reculé ou abandonnés leurs armes : ce fut le jour dit du « massacre des couards ». Ses plus fidèles soutiens commencèrent à l’abandonner. Un des clans prit la direction du Nord et fonda le peuple des Angoni. Un autre ayant à sa tête Mzilikazi s’installa au Sud du Zimbabwé actuel et fut à l’origine des Matabélé. A la mort de sa mère Nandi en 1827, Chaka fit exécuter plus de 7 000 personnes. Pendant un an, il fut interdit aux gens mariés de vivre ensemble et à tous de boire du lait.
Les circonstances de sa mort survenue en 1828 ne sont pas très claires : Chaka serait mort poignardé par son demi-frère Dingane. Il aurait été victime d’un complot organisé par Dingane et Mzilikazi, aidés d’un domestique.
La vie de Chaka donna lieu au célèbre roman de l’écrivain africain Thomas Mofolo (1877-1948) intitulé « Chaka » qui figure parmi les douze meilleurs romans africains du 20è siècle. Ce roman, écrit en 1911 en langue Sotho et publié une dizaine d’année plus tard est un des premiers romans écrit dans une langue africaine.
Chaka fut un chef charismatique, un stratège et un organisateur de génie, fondateur d’une nation. Et comme Napoléon, à qui il fut parfois comparé (Chaka commença à gouverner un an après la bataille de Waterloo) Chaka fut également un conquérant et un despote. Son action influença la vie et le destin de régions entières de l’Afrique australe.
Dans ce tome la guerre des Boers est aussi évoquée :
L’expression Guerre des Boers se rapporte à deux conflits, l’un intervenu de 1880 à 1881 et le deuxième du 11 octobre 1899 au 31 mai 1902, tous deux entre les Britanniques et les colons d’origine néerlandaise (appelés alors Boers puis Afrikaners au XXe siècle) en Afrique du Sud. À la fin du deuxième conflit, les deux républiques fondées par les Boers perdirent leur indépendance et furent intégrées à l’empire britannique.
La première guerre des Boers :
La première altercation fut précipitée par Sir Theophilus Shepstone qui annexa le Transvaal (the South African Republic) pour le compte des Britanniques en 1877 après la Guerre anglo-zouloue. Les Boers protestèrent et se révoltèrent en 1880. Les Boers étaient habillés en vêtements khaki couleur de terre, alors que les uniformes britanniques arboraient une couleur rouge vif, ce qui permit aux Boers de tirer facilement et à distance sur les troupes de l’Empire. Après la défaite d’une expédition britannique commandée par George Pomeroy-Collery en février 1881 à la Bataille de Majuba Hill, le gouvernement britannique de Gladstone donna aux Boers leur autonomie sous une tutelle britannique théorique.
La seconde guerre des Boers (ou Guerre d’Afrique du Sud) :
En 1887, des prospecteurs découvrirent le plus important gisement d’or au monde, situé à Witwatersrand (Barrière de l’Eau Blanche), une arrête montagneuse se déroulant de 100 kilomètres à l’est jusqu’à 50 kilomètres au sud de Prétoria. En réponse aux opportunités de profit que tous envisageaient suite à une telle découverte, le président du Transvaal Paul Kruger fit cette remarque prémonitoire : « Au lieu de vous réjouir, vous feriez mieux de pleurer, car cet or imbibera notre pays de sang ».
Avec la découverte d’or au Transvaal, des milliers de colons britanniques arrivèrent de la Colonie du Cap. Johannesburg devint une ville champignon pratiquement du jour au lendemain, au fur et à mesure de l’installation des uitlanders près des mines. Les uitlanders dépassèrent rapidement en nombre les Boers sur le gisement, bien que restant une minorité dans le Transvaal lui-même. Les Boers, agacés par la présence des uitlanders, leur refusèrent le droit de vote et taxèrent lourdement l’industrie aurifère. En réponse, les uitlanders exercèrent une pression sur les autorités britanniques, en vue d’obtenir le renversement du gouvernement boer. En 1895, Cecil Rhodes appuya une tentative de coup d’État par une action militaire, le raid Jameson.
L’échec de cette tentative de gagner des droits pour les citoyens britanniques fut utilisé pour justifier une opération militaire majeure à partir du Cap, d’autant que le chemin de fer envisagé par Cecil Rhodes entre Le Cap et Le Caire devait nécessairement traverser le territoire des Boers. Plusieurs autres dirigeants coloniaux britanniques se prononcèrent en faveur de l’annexion des républiques boers. Parmi ces dirigeants, le gouverneur de la Colonie du Cap, Sir Alfred Milner, le ministre des Colonies Joseph Chamberlain et les dirigeants d’associations de prospecteurs (les gold bugs) tels que Alfred Beit, Barney Barnato et Lionel Phillips. Sûrs que les Boers seraient rapidement vaincus, ils tentèrent de précipiter la guerre.
Le Président Marthinus Steyn de l’État libre d’Orange invita Milner et Kruger à une conférence à Bloemfontein, qui débuta le 30 mai 1899, mais les négociations furent rapidement interrompues. En septembre 1899, Chamberlain envoya un ultimatum exigeant la complète égalité de droits pour les citoyens britanniques résidant au Transvaal.
Kruger anticipant que la guerre était inévitable, lança son propre ultimatum avant même d’avoir reçu celui de Chamberlain. Il donnait 48 heures aux Britanniques pour évacuer leurs troupes des frontières du Transvaal, ou la guerre leur serait déclarée en accord avec leur allié, l’État libre d’Orange.
La première phase : l’offensive des Boers – octobre à janvier 1900 :
La guerre fut déclarée le 12 octobre 1899, et les Boers attaquèrent les premiers en envahissant la Colonie du Cap et la Colonie du Natal entre octobre 1899 et janvier 1900. Il s’ensuivit quelques succès militaires contre le général Redvers Buller. Les Boers assiégèrent ainsi les villes de Ladysmith, Mafeking (défendue par des troupes sous les ordres de Robert Baden-Powell), et Kimberley.
Les sièges causèrent d’importantes pertes humaines parmi les défenseurs et les civils dans les villes de Mafeking, Ladysmith et Kimberley quand la nourriture commença à se faire rare après quelques semaines. À Mafeking, Sol Plaatje écrivit, « J’ai vu de la viande de cheval pour la première fois traitée comme de la nourriture ». Les villes assiégées subirent également des tirs d’artillerie nourris, rendant les rues dangereuses à traverser. À la fin du siège de Kimberley, supposant une intensification des bombardements, une annonce fut faite, encourageant la population à se réfugier dans les mines pour se protéger. La population paniqua, et les gens s’engouffrèrent pendant 12 heures dans les mines. Les bombardements n’eurent jamais lieu – ce qui ne réduit en rien la détresse éprouvée par les civils.
A la mi-décembre, au cours d’une période connue sous le nom de Semaine noire, du (10 au 15 décembre 1899), les Britanniques subirent de nombreuses pertes à Magersfontein, Stormberg, et Colenso. À Magersfontein, le commandant boer Koos de la Rey, élabora un plan pour creuser des tranchées dans un endroit inattendu, pour à la fois tromper les Britanniques et donner à ses hommes un meilleur angle de tir. Son plan fonctionna parfaitement et ils défirent les Britanniques qui laissèrent près de 1 000 hommes sur le terrain – qui ne purent par conséquent pas s’en prendre à Kimberley et Mafeking. Des défaites similaires à Stormberg et Colenso conclurent cette Semaine noire.
La deuxième phase : l’offensive britannique – janvier 1900 à septembre 1900 :
Après encore une nouvelle défaite dans leur tentative de briser le siège de Ladysmith lors de la bataille de Spion Kop, les troupes britanniques, commandées par Lord Roberts ne reprirent l’initiative qu’avec l’arrivée de renforts le 4 février 1900. Georges de Villebois-Mareuil rejoignit les Boers au Transvaal, et commanda la légion des étrangers qui participèrent à la guerre contre les Britanniques. Il est nommé général par le président Krüger en mars 1900. Au Boshof, en avril 1900, le petit détachement qu’il commande est encerclé et exterminé par les Britanniques. La levée du siège de Mafeking le 18 mai fut à l’origine de célébrations au Royaume-Uni qui débouchèrent sur des émeutes. Les Britanniques parvinrent à forcer la reddition du Général Piet Cronje et de 4 000 de ses combattants, et à affaiblir le reste des troupes boers. Ils avancèrent alors au cœur des deux républiques, prenant la capitale de l’État libre d’Orange, Bloemfontein le 13 mars et la capitale du Transvaal, Prétoria, le 5 juin.
De nombreux observateurs britanniques pensaient la guerre terminée après la capture des deux capitales. Mais les Boers se réunirent en une nouvelle capitale, Kroonstad, et mirent sur pied une campagne de guérilla pour attaquer les lignes de communication et de ravitaillement britanniques.
La troisième phase : la guerre de guérilla – septembre 1900 à mai 1902 :
La guérilla boer commença à attaquer les chemins de fer et les lignes télégraphiques de l’armée britannique. Leur nouvelle tactique changea la physionomie de la guerre et rendit les formations militaires britanniques traditionnelles inefficaces.
Le nouveau dirigeant de l’armée britannique, Lord Kitchener, réagit en construisant des postes fortifiés, des petites constructions de pierre entourées de fils barbelés, afin de réduire les mouvements des groupes de guérilla en de petites zones où ils pouvaient être battus. Des fils de fer barbelés étaient tirés jusqu’au poste fortifié suivant, distant d’environ 1 000 yards. Ces clôtures étaient agrémentées de cloches, de boîtes de conserve et d’autres matériaux bruyants, et parfois de fusils chargés en direction des fils pour servir d’alarme. Entre janvier 1901 et la fin de la guerre, environ 8 000 postes fortifiés composaient cette toile de près de 6 000 kilomètres. Chaque poste fortifié était tenu par un sous-officier et six autres soldats, avec un lieutenant commandant trois ou quatre postes fortifiés. Les Britanniques avaient environ 450 000 hommes (Britanniques et troupes coloniales) stationnés dans la région.
Les postes fortifiés permirent en effet de réduire les mouvements des guérillas, mais ne pouvaient à eux seuls les battre. Kitchener forma de nouveaux régiments de troupes irrégulières de cavalerie légère, y compris des carabiniers Bushveldt, qui parcoururent les territoires contrôlés par les Boers, traquant les groupes de combattants.
En mars, il adopta une stratégie de la terre brûlée et se mit à vider les campagnes de tout ce qui pouvait être utile aux guérillas boers. Il faisait saisir les stocks de vivres, brûler les récoltes et les fermes et évacua les familles qui vivaient là vers des camps de concentration.
Cette stratégie mena à la destruction d’environ 30 000 fermes et une quarantaine de petites villes. En tout, 116.572 Boers furent envoyés dans des camps, soit à peu près un quart de la population, auxquels s’ajoutaient encore quelque 120 000 Africains noirs.
Ces nouvelles tactiques de combat brisèrent rapidement le moral et les lignes de ravitaillement des combattants boers. En décembre 1901, de nombreux camps furent vidés, et nombre des libérés rejoignirent deux nouveaux régiments combattant aux cotés des Britanniques, le Transvaal National Scouts (les Éclaireurs Nationaux du Transvaal) et le Orange River Volunteers (les Volontaires de la Rivière Orange), pour aider à mettre fin à la guerre.
L’intervention du Canada
Au cours de la guerre, les colons firent appel aux forces de l’empire britannique. Le Canada fut alors sollicité. Mais les élites et la presse canadiennes-françaises s’opposèrent fermement à une participation canadienne à cette guerre impériale et lointaine. Finalement, le premier ministre de l’époque Wilfrid Laurier proposa un compromis : le Canada n’enverrait que des volontaires (7 300 hommes en tout seront recrutés) et le Royaume-Uni absorberait les coûts des opérations militaires.
Les camps de concentration
Ces camps furent au départ installés pour héberger les réfugiés dont les fermes avaient été détruites au cours des combats. Le terme de camp de concentration n’avait pas à l’origine de sens négatif, car il s’agissait simplement d’un camp où les réfugiés étaient concentrés. Cependant, suite aux instructions de Kitchener, ils furent rapidement nombreux à être construits et convertis en prisons.
Il y eut au total 45 camps de tentes construits pour les Boers et 64 autres pour des Africains noirs. Les camps de Boers abritaient essentiellement des personnes âgées, des femmes et des enfants pour un total d’environ 120 000 personnes. 25 630 d’entre aux furent envoyés à l’étranger. Mais les camps pour les Africains noirs comptaient également de nombreux hommes. Même après avoir été forcés d’évacuer les territoires boers, les Africains noirs ne furent pas considérés comme hostiles aux Britanniques et servirent de main d’œuvre salariée. Des camps de détentions furent également installés aux Bermudes, en Inde, à Sainte-Hélène et à Ceylan.
Les conditions de vie dans ces camps étaient particulièrement insalubres et les rations alimentaires réduites. Les épouses et les enfants de soldats combattants se voyaient de plus imposer de plus faibles rations. Le régime alimentaire pauvre et le manque d’hygiène furent à l’origine de l’apparition de maladies contagieuses telles la rougeole, la fièvre typhoïde et la dysenterie. Combinée avec des manques en matériel et fournitures médicales, la situation provoqua de nombreux décès – un rapport postérieur à la guerre estima à 27 927 le nombre de Boers décédés (desquels 22 074 enfants de moins de 16 ans) et 14 154 Africains noirs, morts de famine, de maladies et d’exposition au soleil. En tout, environ 25 % des Boers et 12 % des Africains noirs moururent (des recherches récentes suggèrent une sous-estimation des pertes africaines, qui se monteraient en fait à environ 20 000 victimes).
Une déléguée du Fonds Sud-Africain pour la Détresse des Femmes et des Enfants, Emily Hobhouse, fit beaucoup pour les détenus à leur retour du Royaume-Uni, après avoir visité des camps dans l’État libre d’Orange. Son rapport de quinze pages suscita l’indignation, et conduisit à l’envoi d’une commission gouvernementale, la Commission Fawcett, qui visita les camps d’août à décembre 1901 et confirma les faits mentionnés dans le rapport. La commission fut extrêmement critique à l’égard des camps et formula de nombreuses recommandations, telles que l’amélioration du régime alimentaire et des équipements médicaux.
En février 1902, le taux de mortalité annuel tomba de 6,9 % à 2 %.
La fin de la guerre
En tout, la guerre coûta environ 75 000 vies – 22 000 soldats britanniques (7 792 au cours d’affrontements, le reste de maladies comme la typhoïde[2]), 4 000[3] à 7 000 soldats boers, 20 000 à 28 000 civils boers et sans doute 20 000 Noirs. Les derniers Boers se rendirent en mai 1902 et la guerre se termina officiellement avec le Traité de Vereeniging le même mois. Les Boers se virent remettre 3 millions de livres Sterling en compensation, et la promesse d’un gouvernement local indépendant. L’Union de l’Afrique du Sud vit le jour en 1910. Mais le traité avalisait la fin de l’existence du Transvaal et de l’État libre d’Orange en tant que républiques Boer et les plaça sous contrôle de l’Empire britannique.
Les Boers évoquent ces guerres sous le terme de Guerre de la liberté (en langue Afrikaans : Eerste en Tweede Vryheidsoorlog).
Ce 16ème tome de la série est donc très riche historiquement et donne vraiment envie de découvrir la suite.
Bonne lecture !
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