ESCALIER MENANT AU PREMIER ETAGE
Le mur lambrissé à sa partie inférieure d’une boiserie noire, est tapissé d’un feutre brun et vert à larges fleurs grises, autrefois jaunes. Au milieu de l’escalier, qui tourne à droite, un manchon à gaz à tulipe de verre et, enchâssée dans le feutre du mur, une longue glace à deux corps.
Le palier, qui fut recouvert d’une tenture en brocatelle rayée jaune et bleu, délimite deux domaines bien distincts :
A droite : la chambre d’Adèle Hugo (Madame Hugo) et celle d’Adèle Hugo (la fille ; il est à noter, que la famille les appellait Adèle I et Adèle II). Ces chambres n’ont pas été conservées dans leut état primitif, elles n’offaient pas d’intérêt particulier, et ne sont donc pas ouvertes au public.
A gauche : les salons.
Entre les portes, du côté des chambres, une console avec une grande glace au cadre doré, et du côté des salons, une horloge flamande ainsi qu’une vieille armoire. Au fond, la porte d’un cabinet de toilette, agrémentée d’un miroir et d’un lambrequin, et surmontée d’un oeil de boeuf.
LES SALONS
Bien que séparés par une cloison, les deux salons sont indissociables : le principe de leur décoration est le même, et leur porte n’étant jamais fernée, les miroirs de leurs cheminées, en les réfléchissant, les confondent. Le tout formant un magnifique ensemble de 12 mètres de long sur 5 mètres de large. la décoration, doù le sombre chêne sculpté a été banni, est d’une richesse éclatante. Damas de l’Inde, soieries de Chine, panneaux de perles étincelantes, meubles dorés, lustres de Venise et, à l’extrémité de chaque salon, deux glaces se font vis à vis et reflètent à l’infini les objets placés entre elles.
Ces deux grandes pièces connurent l’éclat des réceptions et l’intimité des réunions de famille, on ne peut s’y promener sans percevoir « l’inflexion des voix chères qui se sont tues ».
Un salon rouge et un salon bleu, Victor Hugo avait une mémoire visuelle prodigieuse, et le choix de cet ensemble fut influencé par un souvenir d’enfance. La décoration intérieure du Palais Masserano, où il vécut au début de son séjour à Madrid en 1811, avait produit une impression extraordinaire. Madame Hugo, dans son livre « Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie » parle de son « éblouissement ».
LE SALON ROUGE
Dans cette vaste pièce que deux fenêtres éclairent, le rouge et l’or sont omniprésents. Un « damas de l’Inde » cramoisi tapisse les murs et le plafond. Les rideaux sont de la même étoffe, le tapis possède un fond rouge et les vases sont vermillon.
De magnifiques et immenses tapisseries en perles de verre recouvrent les murs et le plafond. Le tème des ces tapisseries est celui des fables : « le coq et la perle » et « le geai paré des plumes de paon », le style très oriental, tant dans l’exécution que dans les motifs du décor, était très à la mode en Angleterre à cette époque où la Compagnie des Indes prenait son plein essor et où les échanges commerciaux avec l’Orient se multipliaient.
Victor Hugo avait acheté ces panneaux, à l’époque de la Restauration, chez une vieille brocanteuse auvergnate de la rue Lappe, au faubourg Saint Antoine. Le poète aimait à raconter qu’ils avaient décoré la chambre de la Reine Christine de Suède au château de Fontainebleau et avaient été en 1657 les témoins muets du meurtre de Monadelschi, mais de l’avis des experts, c’est là pure légende, et il s’agirait bien d’un travail anglais de la fin du XVIIème siècle.
Comme dans la plupart des pièces d’Hauteville House, la cheminée a été décorée avec une recherche particulière. Elle est surmontée d’un long dais à festons, dont les extrémités en retrait rejoignent les deux angles des murs. Ce dais est fait de la même soie de Chine brodée que celle des lambrequins de la porte d’entrée. Ces soieries faisaient partie, à l’origine, de l’ameublement du Palais d’été de l’Empereur de Chine. Palais mis à sac par les troupes anglaises. Hugo note dans son agenda : « acheté tout le lot de soieries de Chine vendu par un officier anglais qui était de l’expédition et qui l’a pris au palais d’été de l’Empereur de Chine ».
Sous le dais, quatre statues de nègres en bois doré qui encadrent la cheminée. Hugo les possédait avant l’exil. Ils provenaient de l’appartement que Victor Hugo occupait rue de la Tour d’Auvergne. Ces nègres auraient, d’après le poète, décoré la galerie du « Bucentaure », navire d’où les Doges de la Ville de Venise lançaient dans l’Adriatique l’anneau de mariage lors de leur intronisation.
L’imagination de Hugo décorateur est étonnante. Il leur fait brandir des flambeaux qui sont de simples bougeoirs retournés et surmontés de plateaux de balance en cuivre.
Derrière les statues, la partie supérieure du mur est décorée de cinq glaces juxtaposées, enchâssées dans le damas cramoisi, la glace centrale monte jusqu’au plafond. Ainsi, tout le salon rouge et le salon bleu se reflètent dans ce vaste miroir continu, que prolongent deux glaces à cadre doré Louis XIV.
Des gradins recouverts de soie et de velours rouges garnissent la partie inférieure du mur. A chaque extrémité, sur un haut piédestal, un grand vase de Chine vermillon. Entre les rochers qui supportent les statues, deux grosses chimères bleues aux oreilles roses.
Devant le foyer sont placés, un petit écran du XVIIIème siècle brodé au petit point de Saint Cyr, ayant appartenu au boudoir de Madame de Pompadour (favorite du Roi Louis XV) et, un brasero portugais en cuivre qui avait été acheté pour chauffer la serre et servait peut être dans le salon à l’entre saison, Victor Hugo en a décoré les socles, ornement floral que l’on retrouve sur de nombreux objets dans la maison.
Sur le devant de la tablette de cheminée, un curieux ornement appliqué sur une bande de velours rouge : il s’agit d’une ceinture en métal doré à cabochons grenats et verts, qui lui fut donnée par un de ses compagnons d’exil, le colonel hongrois Sandor Teleki.
A droite de la cheminée, près de la fenêtre, une bergère dorée Louis XV, recouverte de soie jaune. Son dossier s’orne d’une tapisserie représentant dans un même écu, sur un manteau de Pair de France doublé d’hermine, le blason des Hugo de Lorraine et celui du général Hugo ; au-dessous des armoiries, l’initiale H appliquée sur la devise Ego Hugo.
Une table de marqueterie au dessus incrusté d’ivoire, de l’époque Charles II d’Angleterre, achetée à Londres par Charles Hugo, occupe le centre de la pièce.
Deux grands vantaux de laque montant jusqu’au plafond, à personnages dorés et à fond vermillon, du côté du salon rouge, et, à fond bleu ciel passé, du côté du salon bleu, fermaient la large ouverture qui fait communiquer les deux pièces. Ces vantaux provenaient de l’appartement de la rue de la Tour d’Auvergne. Charles Hugo écrivit : « La proportion colossale de cette immense porte de laque de Chine, rappelle cette formidable porte à deux battants par laquelle Lucrèce Borgia fait son apparition dans ce tragique cinquième acte ». En fait, la famille ne fermait jamais la porte entre les deux salons et les vantaux restaient rabattus contre le mur.
LE SALON BLEU
La pièce est plus petite et sa décoration est plus simple. Paul Chenay (beau frère de Victor Hugo, mari de Julie soeur de Madame Hugo) qui n’aimait guère Victor Hugo, prétendait : « qu’elle reposait agréablement l’esprit et les yeux de l’éclat tapageur du salon rouge ».
A gauche en entrant, un meuble noir à tiroirs, en laque de Coromandel. Sur les volets intérieurs de la fenêtre, Hugo a peint d’amusants Célestes ainsi que des caractères chinois. Entre la fenêtre et la porte vitrée qui donne sur la serre, une petite table Louis XIII à six pieds.
A droite de la porte, une horloge à cadran doré, signée « Rob Ward, London ».
Sur le mur de droite, de nouveau une tapisserie de perles, sous le panneau le « banc d’Amsterdam », Hugo l’avait rapporté des Pays Bas en 1861 (son premier voyage depuis son arrivée à Guernesey) et il y a peint lui-même les fleurs et le blason.
A côté une belle table japonaise, octogonale, en laque noire ; le dessus, qui est rabattu, est décoré d’incrustations de nacre représentant des cigognes aux becs effilés et des arbres, dont le feuillage étincelle de feux multicolores ; table achetée dans une vente locale.
Au milieu du salon une petite table Louis XIII. Sur la table un brûle parfum japonais en bronze ayant la forme d’une fleur de lotus ; il fut offert à Victor Hugo par Alexandre Dumas à l’occasion de sa visite à Hauteville House en 1857. Au dessus de la table, un grand lustre de Venise, semblable à celui du salon rouge.
De chaque côté de la cheminée, deux petites alcôves abritent des banquettes recouvertes de velours bleu. Au dessus, des miroirs concaves (oeil de conscience ou miroir de sorcières).
Sur la cheminée, une grande glace qui fait face à celles du salon rouge. Ces glaces, sont chacune comme une fenêtre ouverte sur l’autre.
La cheminée est encadrée, de chaque côté, par deux hautes colonnes torses Louis XIII en bois doré, sur lesquelles court une arabesque de fleurs gravées. Hugo prétendait qu’elles provenaient d’un lit ayant appartenu à Madame de Maintenon. Les deux colonnes intérieures supportent un riche fronton Louis XIV en bois doré,probablement un chevet de lit, représentant des amours, des rosaces, des fleurs. Ce sont ces mêmes colonnes qui, dans la salle à manger de la place Royale, soutenaient un dais placé au-dessus d’un divan.
Sur la cheminée, entre deux petits vases japonais, une photographie de Victor Hugo par Nadar. Dans le linteau est encastré un petit plat d’argent à oreilles, d’époque Louis XIV.
La porte qui mène au palier a été evidée et vitrée afin d’éclairer celui-ci. Entre deux grandes feuilles de verre, une peinture chinoise sur papier de riz bleuté : un vieillard offre un fruit à un chevreuil chargé de branches fleuries ; la vitre est entourée d’un bel encadrement Louis XVI en bois doré, qui à l’origine fut probablement le cadre d’une glace.
C’est à nouveau cet effet de diapositive, déjà remarqué dans le salon des tapisseries au rez de chaussée. Il faut passer sur le palier et regarder cette porte en transparence pour en apprécier toute la valeur décorative. Là aussi un miroir placé à un point stratégique en donne une nouvelle optique.
LA SERRE OU VERANDA
Petite pièce très gaie, remplie de lumière. Toute vitrée dont les meubles, à l’exception d’une table de chêne, sont tous en rotin blanc. Hugo venait souvent s’y reposer et lire.
Au dessus de la fenêtre ogivale et de la porte vitrée qui donnent sur le salon bleu, de petites lattes, destinées à servir de support aux plantes grimpantes, ont été disposées de façon à former les initiales VH.
Une vigne y poussait du temps de Hugo. Le raisin de table est excellent à Guernesey, il invitait ses amis à le déguster sur place.
Par une autre porte, la serre communique avec le balcon.
Du balcon, une vue admirable. Devant soi : le jardin et ses grands arbres, les jardins voisins, la baie de Havelet, la mer. A gauche : Castle Cornet et les îles de Jethou et Herm. A droite : la colline boisée du Belvédère.
La famille Hugo aimait ce balcon aéré, d’où l’on jouissait à la fois de reposantes perspectives de verdure et du spectacle changeant et animé de la mer : « les navires passent tout près de nous » écrivait Auguste Vacquerie à Ernest Lefèvre, « le packet qui te portera cette lettre filait tout à l’heure entre Castle Cornet et notre jardin. Barques de pêche, sloops, bricks, trois mâts, bateaux à vapeur se croisent devant moi et c’est grand comme la Manche ; c’est un fleuve et c’est l’océan ; une rue sur la mer ! ».