Léopoldine Hugo (1824 – 1843).
Fille de Victor Hugo.
Fille aînée de Victor et d’Adèle. Elle naquit le 28 août 1824 ; un frère aîné, Léopold, né le 16 juillet 1823, était mort le 9 octobre de la même année. Ses parrain et marraine sont le général, son grand père, et la seconde femme de celui-ci. Elle est baptisée le 16 septembre après avoir été déclarée sous les prénoms de Léopoldine Cécile Marie Pierre Catherine. Dans la famille on l’appelle « Didine ». Les nombreux amis de son père lui font fête. Des artistes, comme Achille Devéria, Louis Boulanger et Auguste Chatillon, multiplieront ses portraits, le premier effectué quand elle n’a que quelques semaines, un des plus originaux étant le portrait à l’huile peint par Julie Duvidal de Montferrier.
Elle est du voyage à Blois (printemps 1825), puis aux Alpes (août 1825). A partir de 1831, elle passera une grande partie des vacances d’été avec sa mère et ses frères et soeur, parfois avec son père, dans la propriété des Bertin, à Bievres ; ce sera son premier contact durable avec la nature. Elle entre en octobre 1832 à l’Externat des Jeunes Demoiselles, 16 place Royale, à deux pas du nouveau domicile de la famille (au 6 place Royale). Elle quitte cet établissement pour le Cours d’Emulation Boblet, en janvier 1838, où elle est externe. Elevée pieusement, elle fera sa première communion à Fourqueux en septembre 1836, et restera croyante ; mais très tôt on la voit se passionner pour les toilettes et les fêtes, sans que ces goûts entament le sérieux profond de son caractère et cette dignité attentive que tous ont observé en elle. Ses lettres à ses amies (sa jeune tante Julie Foucher, Julie Bertin surtout) montrent à la fois sa capacité de réflexion et l’aisance d’un style spontané.
Au cours de ses voyages, presque annuels depuis 1834, Victor Hugo écrit très souvent à sa fille aînée ; il écrira beaucoup de vers pour elle avant d’en écrire plus encore sur elle ; il la chérissait comme un symbole de pureté. Elle séduit, sans le chercher, et les prétendants ne manquent pas ; sans parler de Victor Hennequin qui la demande en mariage en 1842, elle n’est pas sans se laisser émouvoir par Charles Vacquerie, qui appartient à une famille du Havre et dont elle a fait la connaissance au cours des vacances de 1839. Il est le frère de l’hugolâtre Auguste Vacquerie. A sa demande, Hugo n’oppose pas un refus formel, mais il temporise. C’est qu’il s’agit moins de la responsabilité du père accordant sa fille à un honnête garçon, que d’un déchirement profond à l’idée de livrer à un autre sa fille qui était sa lumière. On trouve dans les Misérables, la transposition de ce drame intérieur chez Jean Valjean lorsqu’il découvre l’amour de Cosette pour Marius. De plus, Victor Hugo veut s’assurer que le prétendant aura une situation satisfaisante. Enfin, le mariage à lieu à Paris, en l’église Saint-Paul, dans la plus stricte intimité. Victor Hugo parle de « ce bonheur désolant de marier sa fille ».
« Aime celui qui t’aime, et sois heureuse en lui.
Adieu ! Sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre !
Va , mon enfant béni, d’une famille à l’autre.
Emporte le bonheur et laisse nous l’ennui!
Ici, l’on te retient ; là bas on te désire.
Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir.
Donne nous un regret, donne leur un espoir,
Sors avec une larme ! Entre avec un sourire !
Le jeune ménage s’installe au Havre, au domicile de la belle-famille de Léopoldine. Le 4 septembre, elle et son mari s’embarquent pour une promenade en bateau à voile. Un coup de vent renverse le bateau ; Léopoldine qui ne sait pas nager, s’agrippe au bateau, mais finit par être emportée, et son mari, excellent nageur est noyé également, sans qu’on puisse affirmer qu’il s’est laissé couler pour ne pas survivre à sa femme, comme le déclare Alphonse Karr dans son récit de l’événement publié dans les Guêpes du 10 septembre, après avoir déjà paru dans le Siècle, daté du 9 septembre, puis repris par Jules Janin dans le journal des débats du 11. Avec eux, étaient morts Pierre Vacquerie et son fils âgé de dix ans. La quadruple inhumation eut lieu à Villequier le 6 septembre, en l’absence de Madame Hugo repartie pour Paris dès la nouvelle de l’accident. Ne sachant où trouver le père qui devait être en train de revenir d’un voyage au nord de l’Espagne avec Juliette Drouet, on fait imprimer dans les feuilles du Sud Ouest de la France, région qu’il devait traverser, des placards bien visibles pour lui révéler la terrible nouvelle. C’est le 9 septembre, à Rochefort, qu’il l’apprendra, dans un café où il attendait la diligence de La Rochelle, par le journal le Siècle du 6 septembre, qui relatait l’événement. Sa douleur fut immense. Il écrit aussitôt à sa femme :
« Chère amie, ma femme bien aimée, pauvre mère, que te dire ? Je viens de lire un journal par hasard. O mon Dieu, que vous ai je fait ? J’ai le coeur brisé. Pauvre femme, ne pleure pas. Résignons nous. C’était un ange. Rendons le à Dieu. Hélas ! Elle était trop heureuse. Oh ! je souffre bien. Il me tarde de pleurer avec toi et avec mes trois pauvres enfants bien aimés. Que ces affreux coups du moins, resserrent et rapprochent nos coeurs qui s’aiment. »
Le choc a été terrible. Une fracture s’est produite dans la vie de Hugo, qui va se répercuter dans sa production. En dehors d’additions au Rhin (Fruit littéraire des trois voyages réalisés avec Juliette Drouet en 1838, 1839 et 1840, publié, une première fois en 1842, réédité en 1845 dans une version élargie) il ne fera rien paraître pendant sept ans, et c’est l’action politique qui va alors le reconduire à publier. Léopoldine hantera toute sa vie. Il rentre aussitôt à Paris, où il arrive le 12 septembre. Dès lors commence le culte du père pour la disparue, transposé dans les rapports de Jean Valjean et de Cosette. A ce deuil, s’en ajoute un autre, le 21 juin 1846, Claire Pradier, fille de Juliette Drouet, meurt à vingt ans. Les poèmes qu’il consacre à Claire se mêleront, dans les Contemplations, à ceux qu’il consacre à Léopoldine. Mais Hugo ne viendra sur la tombe de sa fille qu’en septembre 1846.