REZ DE CHAUSSEE




 






A mi-côte dans la petite rue de Hauteville se dresse une grande maison blanche, la plus haute de la rue, derrière une palissade peinte en vert. La facade de cette demeure ne fait guère prévoir l'originalité de la décoration intérieure et rien, côté rue, ne fait entrevoir la beauté du panorama que l'on découvre des fenêtres et du balcon, côté jardin. Seul dans la rue, le look out attire immédiatement le regard. Un jour de soleil, il éblouit.

Deux chênes encadrent un perron de cinq marches, une porte à double battant, un marteau à tête de lion et au-dessus de la porte se lit l'inscription "Hauteville House". Nom qui semble avoir été choisi par Victor Hugo lui même, de préférence à Liberty House qu'il mentionnait dans une lettre à George Sand le 30 juin 1856.




Hauteville House n'est pas un musée et ce n'est pas seulement la maison où Victor Hugo passa quatorze ans d'exil et où sont accumulées des richesses incomparables, c'est véritablement une création hugolienne, de plus lors de la visite on y perçoit une présence ; elle est restée comme impregnée de la personnalité de Hugo , au milieu de ces meubles et de ces tapisseries qui semblent vivre d'une vie mystérieuse, l'impression indéfinissable d'être accompagné par une ombre familière s'insinue en nous.

Ce sont les héritiers de Victor Hugo, Jeanne (sa petite fille) et les enfants de Georges (son petit fils) qui ont fait don de cette maison à la Ville de Paris en 1927.






LE VESTIBULE


L'entrée ou vestibule, est assez sombre malgré un papier peint à ramage qui décore le plafond et le haut des murs, il se termine par un porche gothique aux curieuses sculptures, soutenu au centre par une colonne corinthienne. Au-desus, on peut y lire l'inscription "Victor Hugo - Notre Dame de Paris" . L'encadrement de la fenêtre est en effet orné de motifs, armoiries, chevaliers, diable, qui se réfèrent sinon à des scènes du roman, du moins à l'époque où il se déroule.
A gauche et à droite du linteau, deux médaillons de bronze signés David d'Angers. Sur celui du poète l'inscription : A mon célèbre ami Victor Hugo, et sur l'autre : Adèle Hugo, David.
La fenêtre est composée de vitraux en culs de bouteille. Hugo aimait ces verres qui laissent passer une lumière adoucie, légérement colorée.
Sur l'autre face du porche, au dessus de la vitre centrale, l'inscription : Ama Crede (Aime. Crois).





Au-delà du vestibule, quatre portes qui communiquent de droite à gauche avec, la salle de billard, le couloir aux faïences, la salle à manger et la chambre d'Auguste Vacquerie (actuellement la réception).Chacune de ces portes à sa décoration propre.


LA SALLE DE BILLARD


Sur la porte, le mot de bienvenue : Ave, divisé en deux par les battants. Ceux-ci sont recouverts de beaux panneaux de style guernesiais, dont un motif décoratif rappelle le lotus égyptien.
Cette vaste pièce est moins décorée que les autres, elle est la seule de la maison qui ressemble à un musée. Sa décoration proprement dite a été négligée, les portes intérieures sont unies et le plafond est resté nu. Victor Hugo en condamnera d'ailleurs la porte dès 1866 : "J'ai rangé dans le billard tous les objets qui étaient dans l'atelier. Le billard sera cadenassé et fermé et l'atelier et le salon des tapisseries resteront en libre pratique".
Débarrassée des caisses d'objets precieux que Hugo y avait entassé, cette pièce est de nos jours une sorte de préface à la visite ; on y trouve des objets précieux et des portraits de la famille dont certains sont l'oeuvre de Madame Hugo, ainsi que des dessins de Hugo.





La salle de billard présentait certainement pour Victor Hugo une valeur sentimentale. Il avait rassemblé sur ces murs ce à quoi sans doute il tenait le plus, les images, à différents moments privilégiés, de tous les siens, cet autrefois d'avant l'exil, d'avant le deuil, et peut être est ce pour cette raison que dès qu'il se retrouva solitaire à Hauteville House il interdit qu'on y entrat, comme pour arrêter le temps ; la famille avait été dispersée par la mort, par la vie même, elle demeurait en cette salle au moins, symboliquement, éternisée dans sa jeunesse.



LE SALON DES TAPISSERIES



Ce salon fait suite à la salle de billard. Dans cette pièce, où pénètre une lumière adoucie, règne une atmosphère d'apaisement et d'intimité, c'est là que la famille prenait le café et donnait de petites soirées.

La porte à deux battants, très sobre du côté de la salle de billard, est en panneaux sculptés de style Renaissance du côté du salon. Au dessus un panneau sculpté de coffre guernesiais, que surmonte le dossier d'une chaise percée représentant un roi à cheval, baptisé par la famille Hugo : Le Roi d'Yvetot. Il est encadré de deux écussons sur lesquels la poète a fait graver, à gauche : Bon Roy, et à droite : Roy qui s'en va.

Les murs et le plafond sont recouverts de tapisseries du XVIIIème siècle, sauf les petites tapisseries autour de la fenêtre qui sont du XVIème siècle.
La grande tapisserie qui recouvre le mur de gauche et qui représente une scène de chasse, est une tapisserie d'Aubusson. Il y avait là autrefois une porte qui faisait communiquer cette pièce avec le couloir aux faïences, Hugo l'a fait condamner. Une petite plaquette d'ivoire indique le thème de cette tapisserie : Noble Play (Noble jeu). Il est à noter que ce sont les seuls mots d'anglais inscrits dans la maison. Victor Hugo n'apprit jamais l'anglais, il avait pour habitude de dire : "Quand l'Angleterre voudra causer avec moi, elle apprendra ma langue." Mais à cette époque le français était encore d'usage courant à Guernesey. Au dessus de la tapisserie, une inscription gravée dans la boiserie : "Laetus homo ridet, flet bestia tristis". (L'homme est joyeux et rit, la bête est triste et pleure). A chacun des angles inférieurs de la baguette entourant la tapisserie, les armoiries des aïeux légendaires, les Hugo de Lorraine, et celles du Général Hugo.







Contre le mur et sur toute sa longueur, un divan recouvert de tapis d'orient. Victor Hugo trouvait ces tapis chez les brocanteurs ou dans des ventes, puis il les faisait réparer. Note lue dans un de ses agendas à la date du 24 avril 1858 : "Marie Turpin a commencé à couper le tapis turc pour couvrir le divan du salon d'en bas".

Trois petites tapisseries du XVIème siècle décorent l'ébrasement de la fenêtre, par laquelle on aperçoit le jardin et ses grands arbres.

Au centre de la pièce, sur un grand tapis rouge et et or, une grande table encadrée de chaises Chippendale. Cette table est une construction hugolienne : une petite table agrandie par des planches de chêne et reposant sur des pieds d'une toute autre provenance. A droite de la fenêtre, une autre oeuvre hugolienne : un cabinet japonais monté sur un meuble de style chinois.

Enfin, faisant face à la tapisserie d'Aubusson, une cheminée de chêne, imposante, monumentale, surchargée de sombres sculptures, occupe, jusqu'au plafond, presque tout le mur. Cette "cathédrale de chêne" constitue induscitablement l'oeuvre maîtresse du poète architecte.








Elle est faite de fragments de meubles anciens, assemblés sur un plan qui rappelle à la fois le Moyen Age, la Renaissance et l'époque Louis XIII. Les détails sont innombrables et compliqués, mais ils sont ordonnés avec un art si subtil qu'ils se fondent harmonieusement dans l'ensemble.

La partie supérieure est constituée par trois coffres de boiseries locales surmontés d'un frontispice et d'une statuette d'évêque, encadrée d'un double inscription, à gauche : "Crosse d'or, évêque de bois" ; à droite : "Crosse de bois, évêque d'or". Ces coffres sont supportés par de petites colonnes, provenant sans doute de pieds de table.

Entre ces colonettes, et sous le coffre central, un vaste miroir convexe refléchit, tel l'objectif photographique, les détails de la grande tapisserie du mur opposé. Les effets de miroir tiennent une place de premier plan dans toute la maison. Qu'il s'agisse d'un bel objet ou d'un beau panorama, un miroir sera placé à un point stratégique et permet ainsi de voir chaque chose en vision directe et indirecte. Ces miroirs convexes sont aussi appellés : oeil de conscience ou miroir aux sorcières.

Sous chacun des deux coffres en retrait, une statue en bois, à gauche Saint Paul, à droite Saint Jean.

La base de la cheminée est faite d'une boiserie totalement différente ; autour du foyer, des carreaux de Delft. Sur deux volutes en forme de parchemin roulé, placées de chaque côté du foyer et sous la tablette de la cheminée, Victor Hugo a fait graver les noms qui lui paraisaient les plus glorieux de l'humanité ; à gauche : "Job, Isaïe, Homère, Eschyle, Dante, Shakespeare, Molière" ; à droite : "Moïse, Socrate, Christ, Colomb, Luther, Washington".

Au-dessus de la porte qui mène à l'atelier, une peinture chinoise sur papier de riz placée entre deux plaques de verre éclaire la pièce tout en donnant un effet de diapositive.




L'ATELIER



L'atelier que l'on appelait aussi fumoir, est une pièce lumineuse aux larges ouvertures vitrées, qu'emplit toute la gaîté du jardin. Même s'il est arrivé à Victor Hugo de travailler dans cette pièce, elle était plus simplement réservée à la détente.

Le long de la baie vitrée, faisant face à la porte, un long divan recouvert d'un tapis d'Orient. Un coffre de voyage portant sur une plaque de cuivre le nom de son ancien propriétaire "Admiral Mackellar". Au dessus du coffre, deux vitraux hollandais du XVIIème siècle.

Au plafond, une très belle tapisserie flamande. Par sa composition et ses proportions monumentales, le bahut installé contre le mur de droite ressemble à la cheminée du salon des tapisseries. Il se compose de trois coffres anciens soutenus par deux pieds de table et une base en bois scuplté (des chérubins et des chandeliers à sept branches). Victor Hugo a tenu à ce que figure sur les panneaux de l'étage inférieur les armoiries des Hugo ; à gauche les armes des Hugo de Lorraine (anoblis en 1534 et dont Hugo se réclamait à tort) et, à droite les armes du général Hugo devenu comte par les soins de Joseph Bonaparte, Roi d'Espagne.








Charles Hugo écrivait : "Pour qui aime à tout ramener à une idée générale, il est évident que Victor Hugo a le goût du démesuré. Il aime les grands horizons, les grands arbres, les grandes maisons, les grandes salles, les grandes portes, les grands meubles. Toute les fois qu'il applique son invention à un objet quelconque, il en élève les proportions ausi haut et ausi loin que possible.... C'est de la menuiserie titanique. Hauteville House est une charmante bonbonnière de géant, meublée de petites Babels".

Au dessus du meuble monumental, l'inscription en partie cachée par la moulure supérieure : "Ad augusta per angusta" (à des fins augustes par des voies étroites), mot de passe des conjurés dans la pièce Hernani.
Sous l'aile droite du meuble, une petite échelle ornée de moulures et d'une tête d'ange. Fixée à la boiserie, elle est purement décorative.

A droite, dans le mur faisant face au jardin, une petite porte donne sur un cabinet noir avec évier, où Charles Hugo et Auguste Vacquerie, passionnés de photographie, développaient leurs plaques. Il s'agit aussi du fameux "cabinet noir" de "Jeanne était au pain sec", dans "L'Art d'être Grand Père" .








Au centre de la pièce, une table octogonale Louis XIII, dont les pieds sont, à leur partie supérieure, décorés de têtes de femmes et de faunes, qui furent, paraît-il, sculptées par Victor Hugo.

Une porte s'ouvre sur l'entrée dallée du jardin, d'où l'on a une splendide vue sur l'océan.




LE COULOIR AUX FAIENCES




Ce couloir est un immense dressoir, où voisinent la Chine, Rouen, Delft et Sèvres. Les murs et le plafond sont revêtus d'une peinture rouge brique, qui fait valoir la blancheur et les coloris des porcelaines et des faïences.

Sur le mur de gauche, un service de Sèvres à filet d'or, représentant les attributs de la table ; il fut offert à Victor Hugo par Charles X pour le remercier de l'ode qu'il avait écrite pour le Sacre, au dessus, des assiettes et des plats de Delft bleus. Sur le mur de droite, un service de style chinois de la fin du XVIIIème siècle exécuté par Mason de Londres. Le plafond est également décoré de faïences : Delft, diverses faïences anglaises, et du Vieux Rouen.

A l'autre extrémité du couloir, l'imposte est également occupé par un vitrage à verres culs de bouteille. Sur un des côtés de la porte a été fixée une glace Louis Philippe, destinée à donner plus de lumière à l'entrée.










LA SALLE A MANGER




Une porte à double battants permet d'accèder à la salle à manger, "Salle à Mauger" comme la surnommait la famille Hugo, en référence à l'artisan Monsieur Mauger qui a "reconstruit" la maison avec l'aide de trois ouvriers : James, Jean et Gore. Cette pièce fut donc la première à laquelle ils s'attaquèrent et ils mirent un an à la décorer.

Avant d'entrer, un détail pratique, on peut voir à gauche de l'entrée de la salle, le monte charge qui apportait les plats du sous-sol où se trouvaient les cuisines.

Cette pièce, Hugo l'a voulue magnifique, avec une profusion de détails dans une grande unité. Trois types de revêtement ont été utilisées : les carreaux de faïences, le bois de chêne, et les tapis et tapisseries.








Au dessus de la porte d'entrée avance un coffre, dont les ouvertures en forme de niches abritent quatre statuettes de chinois aux brillantes tuniques vermillon ; à chaque extrémité du coffre, également dans une niche, une petite stauette anglaise. Le coffre est soutenu par un panneau sur lequel figure cette inscription en grandes lettres de bois : "Exilium vita est" (la vie est un exil).

Le long du mur de gauche (en entrant), sous la blanche mosaïque aux quatres corbeilles violettes, une longue stalle noire. A droite du revêtement en céramique, un curieux montant de bois sculpté, soutenant une sorte de dressoir à étagères où reposent des pièces de faïences.







Puis voici l'étonnante et massive cheminée, bloc de céramique à fond blanc, et son immense lettre H, initiale de Hugo et de Hauteville House, dessinée en relief par de petits carreaux à dessins bleus. "Cet H monumental se dresse comme la signature de pierre de la maison". Le foyer est fermé par un panneau peint du XVIIème siècle.

A la partie supérieure de la cheminée, une statue de Notre Dame du Bon Secours, portant la date de 1756. Cette statuette fut offerte à Victor Hugo par Juliette Drouet. La Vierge porte sur son bras l'Enfant Jésus qui tient dans ses mains le globe terrestre. Hugo a laïcisé cette Vierge et en a fait une Liberté, on peut lire sur les boiseries qui l'encadrent :

"Le peuple est petit, mais il sera grand.
Dans tes bras sacrés, ô mère féconde,
O liberté sainte au pas conquérant,
Tu portes l'enfant qui porte le monde"
.







Le mur à droite de la cheminée, est également revêtu de plaques de faïence blanche, sur lesquelles s'épanouit le large motif violet représentant une corbeille de fleurs.

L'embrasure de la fenêtre est occupée par une stalle, dont le soubassement porte l'inscription : "Lever à VI, dîner à X, Souper à VI, coucher à X, Fait vivre l'homme X fois X". L'embrasure de l'autre fenêtre porte quand à elle l'inscription : "Post coena, Stabis seu, Passus mille, Meabis vale" (Après le repas, reste debout ou fais mille pas. Porte-toi bien). Ainsi que l'écrivait Charles : "Rien ne manque à cette éducation de l'esprit par la demeure, pas même les préceptes d'hygiène".

Entre les deux fenêtres, et sous l'inscription : "Cella Patrum Defunctorum" (le sanctuaire des ancêtres morts), se dresse dans l'ombre, à contre-jour, le "Fauteuil des Ancêtres" que Victor Hugo fit fabriquer à Guernesey dans le style gothique des chaires du XVème siècle. Siège étrange par ses inscriptions, sa décoration, ses coloris. Siège sacré, où nul ne peut s'aseoir, et qui est fermé par une chaîne de fer. Il est reservé aux Ancêtres dont l'âme invisible préside aux repas de la famille. En haut du baldaquin de bois qui couronne le fauteuil, cette inscription gravée : "Hic nihil alias aliquid" (Ici rien, ailleurs quelque chose). A la partie supérieure du dossier, une plaque dorée représentant le Christ et la Samaritaine ; dessous une Vierge noire, sous la Vierge le blason des Hugo de Lorraine, et enfin, sous l'écu, la fière devise : "Ego Hugo" (Moi Hugo). Au dessous de ces armoiries, l'inscription : "Absentes adsunt" (les absents sont présents).







Le mur qui fait face à la cheminée est également revêtu de carreaux blancs de Delft, que décorent cinq gros bouquets violets. Le long du mur, deux grandes stalles noires. Au haut du mur, l'inscription gravée dans la boiserie : "Tu qui transis per domos perituras sis memor domus aeternae" (Toi qui passe par des demeures périsables, n'oublie pas la demeure éternelle).

La plus grande partie du plafond est recouverte d'une tapisserie des Gobelins, l'Automne des Quatres Saisons, l'Eté décore le mur de l'escalier du second, l'Hiver et le Printemps, ont probablement fourni les autres morceaux du plafond.

Au centre une grande table moderne, de fabrication anglaise.

Pour fêter l'achèvement de ce long travail, Hugo réunit le 14 mai 1857 un certain nombre d'amis autour de la table. C'est dans cette salle à manger, qu'à partir de 1862,il reçut à déjeuner, tous les quinze jours et bientôt toutes les semaines, huit, quinze, vint quatre et jusqu'à quarante enfants pauvres de Guernesey. Victor Hugo écrit le 5 mars 1862 :
"J'ai pris avec Marie des arrangements pour réaliser mon idée de repas des enfants pauvres ; toutes les semaines douze enfants pauvres dîneront chez moi. Le repas sera le même que le nôtre. Nous les servirons. Ils diront en se mettant à table "Dieu soyez béni", et en se levant "Dieu soyez remercié" .
En date du 10 mars il écrit : "Le premier dîner à eu lieu. On a fait une photographie".










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